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Les dessous de l’élection d’Erdogan en Turquie

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Les dessous de l'élection d'Erdogan en Turquie

A l’issue d’une campagne intense face à un opposant leader de six partis d’opposition, Recep Tayyip Erdogan a été réélu pour un troisième mandat consécutif ce dimanche 28 mai 2023. Avec près de 52% des voix des 53 millions d’électeurs qui se sont rendus dans les urnes ce dimanche, le leader du Parti de la Justice et du Développement (AKP) assoit son pouvoir sur un pays traversé par une crise démocratique profonde. Tour d’horizon de cette élection.

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Recep Tayyip Erdogan : plus de 20 ans au pouvoir

Ce dimanche 28 mai, le leader de l’AKP brigue son troisième mandat. Après avoir été premier ministre de 2003 à 2014, Erdogan prit la tête de la République de Turquie lors de la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 2014. Depuis, en traversant les crises et en étant fermement accroché au pouvoir, Erdogan pousse la démocratie turque dans ses retranchements.  Il s’affirme avec une ferveur toujours plus grande comme l’homme fort du pays, invectivant Emmanuel Macron sur Twitter et s’affichant proche de Vladimir Poutine. Le résultat de cette élection semble d’autant plus surprenant que la constitution limite à deux mandats l’exercice du pouvoir en Turquie. Mais peu importe pour le nouveau Reis, la réforme constitutionnelle de 2017 lui a permis de remettre les compteurs à zéro et d’affirmer qu’il pouvait, bel et bien, se présenter pour un troisième mandat cette année.


Des élections après une campagne mouvementée

Alors qu’Erdogan brillait par son talent d’animal politique lors des précédentes campagnes, il s’est révélé beaucoup plus monotone ces dernières semaines. Enchaînant certes les meetings, jusqu’à trois par jour lors de l’entre-deux-tours, le président nouvellement réélu a cependant été contraint de quitter la scène médiatique pendant plusieurs jours en raison de son état de santé. Une image a marqué l’opinion publique : son quasi-malaise lors d’un débat avec son opposant principal, Kemal Kilicdaroglu. A cela s’ajoute une défaite politique majeure lors des municipales de 2019, avec la perte d’Istanbul et d’Ankara, et une profonde crise économique qui balaie le pays depuis plusieurs mois. Une succession de déboires qui semblaient avoir joué en la défaveur d’Erdogan, cependant le président turc a su utiliser le parti-Etat qu’il a créé de toute pièce depuis plusieurs années, et a bénéficié du vote des primo-électeurs pour l’emporter. En effet, depuis 20 ans, l’AKP est devenu un véritable parti-Etat qui contrôle tous les leviers de la société turque : politique économique, force religieuse et pouvoir médiatique. Au travers d’un intense réseau souvent décrit comme «clientéliste», Erdogan parvient à toucher toutes les strates de la société turque.

Le Reis sait également faire vibrer la fibre nationaliste de sa population, et notamment des plus jeunes. Avec plus de deux millions de primo-votants nés sous Erdogan et n’ayant connu que lui au pouvoir, le leader de l’AKP a façonné un nouvel état d’esprit, fermement anti-occidental. Son opposant, Kemal Kilicdaroglu, leader d’une coalition de six partis d’opposition n’a manqué d’être rangé dans la catégorie pro-occidentale. Encore la veille du second tour, Erdogan a dénoncé la tentative de « coup d’Etat » que Joe Biden était en train de monter avec Kilicdaroglu. Une tentative contre laquelle les Turques devaient se mobiliser. Dès le lendemain, les urnes ont parlé avec un taux de participation de près de 88%, et ont accordé leur confiance à Recep Tayyip Erdogan pour encore cinq ans.


La Turquie embuée dans une crise permanente

Le pays est traversé par une crise structurelle depuis plusieurs mois : inflation permanente (+44% encore en avril dernier), isolement du pays sur la scène géopolitique… Autant de facteurs qui semblaient jouer en la faveur de Kemal Kilicdaroglu, cet ancien économiste qui se présentait comme l’anti-Erdogan. Donné vainqueur dans la quasi-totalité des
sondages d’avant premier tour, il a trébuché le dimanche 14 mai 2023 : le leader de la coalition d’opposition s’est retrouvé 5 points derrière Erdogan. Soit près de deux millions et demi de voix derrière.

Bien que soit questionnée la régularité du premier tour, les électeurs turcs semblent attachés à Erdogan qui surmonte les crises avec une certaine aisance. Au-delà des nombreuses promesses de campagne et de la grasse distribution d’aides financières juste avant le premier tour, le président turc sait jouer d’un relent identitaire fort. Bien loin de la révolution occidentale imposée par le Père de la Nation en 1923, Erdogan prône une grande Turquie. Celle d’un pays anti-occidental qui façonne, à sa manière, le monde de demain : dialoguant avec la Russie de Poutine, s’affirmant face à la Chine, et jouant un double jeu avec l’OTAN.

Depuis plusieurs mois, de nombreux experts voient se dessiner une crise économique profonde dans ce pays de 85 millions d’habitants. Ahmet Insel, économiste et politologue turque, a rapidement déclaré « Il y a eu deux tours des élections, maintenant, il y a un troisième tour qui attend Recep Tayyip Erdogan, c’est la crise économique ». En effet, le pays connait une inflation galopante, ayant atteint un pic de +88% en octobre 2022. Les conséquences sur la population se font d’ores-et-déjà ressentir avec une sous-nutrition croissante dans tout le pays.

A l’annonce des résultats, Kemal Kilicdaroglu a exprimé sa profonde inquiétude face « aux difficultés qui attendent la Turquie ». De l’autre côté de la scène, Recep Tayyip Erdogan, s’est empressé de fêter sa victoire : « Comme à chaque fois que notre nation s’exprime, ce résultat est sacré. Le véritable vainqueur de cette élection, c’est notre nation, dans toutes ses composantes, c’est la Turquie tout entière. Le grand vainqueur, c’est notre démocratie ! ».


Pourtant, cette élection laisse porter de nombreux doutes sur la trajectoire que le pays adoptera dans les mois à venir. L’imprévisibilité du Reis fait trembler les différentes chancelleries qui voient dans la Turquie autant un facteur d’enflammement que la solution du conflit actuel. Zelinsky a d’ailleurs immédiatement réagi à la réélection d’Erdogan, appelant à un « rapprochement entre la Turquie et l’Ukraine ». Individualisme, pragmatisme ou réconciliation avec l’Alliance euro-Atlantique, la voie choisie par la vingtième économie mondiale sera décisive pour la stabilité du vieux continent.

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Teo Perrin