Les politiques de l’emploi en France ont connu une évolution significative, influencée par des débats théoriques et des contextes économiques changeants. L’importance de ces politiques a augmenté, en particulier face au défi persistant du chômage massif. Cet article explore les principales tendances/évolutions dans la construction et la mise en œuvre des politiques de l’emploi en France.
Évolution historique des politiques de l’emploi
Les politiques de l’emploi sont assez récentes. Leur montée en puissance tardive s’explique par les débats théoriques évoqués successivement par les keynésiens et les néoclassiques. Aucun ne justifiait des politiques ciblées sur le marché du travail. C’est seulement dans les années 1990 que les nouvelles théories prenant en compte les imperfections du marché du travail vont inciter à la mise en œuvre de politiques spécifiques.
Définitions des politiques de l’emploi
Les politiques de l’emploi englobent un large éventail d’interventions publiques visant à augmenter l’emploi et réduire le chômage. Les définitions varient, mais elles peuvent être regroupées en trois niveaux d’analyse :
- le niveau intermédiaire : il désigne toutes les “interventions publiques qui ont pour objectif explicite et premier d’augmenter le niveau d’emploi et/ou de réduire le niveau de chômage, en agissant directement sur le marché du travail “ (Cf. J. Gautié);
- le niveau large recouvre l’ensemble des dispositions de réglementation du marché du travail/de mesures sur le droit du travail;
- le niveau restrictif s’en tient aux dispositifs ciblés qui bénéficient à des groupes particuliers en difficulté.
Différents types de mesures
Les mesures actives et passives sont également distinguées. Cependant, cette distinction est parfois problématique en raison de la complexité des dispositifs mis en œuvre. Les premières agissent directement sur le niveau d’emploi. Les secondes cherchent à limiter les conséquences sociales négatives engendrées par le marché du travail.
On peut également distinguer les mesures dirigées vers la demande de travail (baisse du coût de travail, exonérations de charges, subvention à l’embauche) et celles orientées vers l’offre (incitation à la reprise de l’emploi, politiques fiscales, formation). Il s’agit d’influencer le salaire de réserve et/ou de réservation des individus.
Mesure quantitative des politiques de l’emploi
Les dépenses publiques consacrées aux marchés du travail sont la principale mesure de l’ampleur des politiques de l’emploi. Nous pouvons distinguer ici les dépenses générales en faveur de l’emploi et du marché du travail et les dépenses ciblées.
Dépenses générales
Elles regroupent l’ensemble des dispositifs qui ne sont pas spécifiquement ciblés sur des groupes de personnes en difficulté tout en étant destinés à favoriser l’emploi. En considérant uniquement les dépenses dont l’objectif principal est l’emploi, nous pouvons nous arrêter sur les allègements généraux de cotisations sociales ou d’impôt.
Ces mesures sont principalement en faveur des bas salaires et des heures supplémentaires. Citons par ailleurs les incitations financières à l’emploi et les exonérations dans certaines zones géographiques (zones urbaines sensibles, zones franches urbaines…) ou dans certains secteurs (hôtels-cafés-restaurants, services à la personne, secteur agricole…). Selon les données fournies par la Dares, ces dépenses s’élevaient à 79 milliards d’euros en 2020.
Les dépenses ciblées
Celles-ci concernent les emplois aidés, l’accompagnement et la formation des demandeurs d’emploi, l’indemnisation du chômage ou encore les préretraites. Ces interventions publiques sur le marché du travail visent à permettre son bon fonctionnement.
Il s’agit de corriger les déséquilibres pouvant survenir. Les dépenses ciblées diffèrent des générales en ce qu’elles agissent de façon sélective, favorisant des groupes particuliers sur le marché du travail. Cette politique se concentre en priorité sur certains publics spécifiques, plus vulnérables. Parmi eux, nous retrouvons les chômeurs, les jeunes et les handicapés, etc. En 2020, les dépenses ciblées françaises atteignaient près de 95 milliards d’euros (Dares).
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Mesures qualitatives et construction des politiques de l’emploi
En France, les dépenses en faveur de l’emploi s’élevaient à 184 milliards d’euros en 2020 (environ 8% rapporté au PIB). Les dépenses générales ont fortement augmenté depuis 2000 (une hausse de 530%), pour atteindre 79 Milliards d’euros (une augmentation de 64 milliards d’euros). La montée en charge du pacte de responsabilité et le passage à 7 % du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) expliquent plus de 5 milliards d’euros de cette augmentation.
Les dépenses ciblées suivent la même tendance ascendante, quoiqu’avec moins d’ampleur (une hausse de 220% en 20 ans).
Dans la plupart des pays de l’UE, les dépenses ciblées sur le marché du travail ont fortement augmenté après la crise de 2008 pour atteindre un pic en 2010. Depuis, ces dépenses diminuent et suivent partiellement l’évolution du taux de chômage en baisse depuis 2013 au niveau européen.
Les politiques de l’emploi en France : une logique hybride
Les années 1950 en France voient apparaître du chômage incompressible. Les politiques de l’emploi demeurent modestes et visent surtout la gestion du chômage transitionnel. Dans les années 1970, le chômage reste considéré comme essentiellement conjoncturel. L’Etat privilégie les dépenses passives (hausse des indemnités chômage) dans une logique keynésienne.
A partir des années 1980 néanmoins, le chômage acquiert une dimension plus structurelle. Il s’agit de multiplier les politiques ciblées vers les jeunes et les retraités notamment : Travaux d’Utilité Collective (TUC), Contrat Emploi Solidarité (CES), etc.
Les années 1990 voire 2000 font apparaître un véritable changement de paradigme. On passe de politiques centrées sur les dépenses passives à des mesures plus actives, notamment la réduction du “coin socio-fiscal”.
Le coin socio-fiscal
Le coin fiscal est le résultat de la division entre le montant des impôts payés par un salarié et le coût total du travail supporté par l’employeur pour ce même salarié. Il faut également tenir compte ici du coût des cotisations sociales salariales et des charges sociales patronales si l’on considère le coin socio-fiscal.
Le coin socio-fiscal sert à mesurer le pouvoir d’achat net qui reste au salarié et le comparer au coût global subi par l’employeur. Par exemple, un coin fiscal de 60% signifie que le salarié touche 40% du coût total supporté par son employeur.
Relation entre coin socio-fiscal et taux de chômage
Les études économiques de l’OCDE ont démontré la corrélation entre coin fiscal et taux de chômage. Plus le coin fiscal est élevé, plus l’effet dissuasif sur le travail semble élevé. Afin de stimuler le marché du travail, il convient de veiller à un écart modéré entre le coût total d’un salarié et le pouvoir d’achat net qu’il touche.
Le coin socio-fiscal est à l’origine de nombreuses politiques publiques d’aide à l’emploi. Notons par exemple le cas de la Prime pour l’emploi en France. Depuis les années 2000, les études de l’OCDE montrent une forte réduction de ce coin. Malgré cela, le coin fiscal en France s’établit autour de 47%. pour un célibataire touchant le salaire moyen. Ce chiffre est largement au-dessus de la moyenne de l’Union européenne ou de celle des pays de l’OCDE (34,5% en 2022). Cela signifie qu’en moyenne, sur 1000 euros payés par l’employeur, 470 sont prélevés.
En France, ce coin est progressif. Il augmente avec le niveau de salaire. Plus le salaire d’un individu augmente, plus l’employeur doit payer des charges élevées en proportion.
Vers une individualisation des politiques de l’emploi
Les politiques se sont orientées vers une logique d’activation, mettant l’accent sur l’individualisation du suivi et le renforcement des contrôles sur les demandeurs d’emploi. L’introduction du RSA (Revenu de Solidarité Active) et de la Prime d’Activité illustre cette tendance à inciter au retour à l’emploi. Le coût du travail s’impose comme seul responsable de l’insuffisance d’emploi. On observe aussi un allègement progressif des cotisations sociales.
Au niveau politique se diffuse l’idée qu’une partie de l’inactivité serait entretenue voire encouragée par les dispositifs d’aide sociale et les minima sociaux. Les concepts de “trappe à inactivité” et de “trappe à pauvreté” font leur apparition dans le débat public.
La notion de chômage involontaire laisse place au non-emploi. Les politiques s’engagent dans une logique d’activation d’individualisation et de renforcement des contrôles. La Prime pour l’emploi (PPE) en 2001, le RSA en 2008 puis leur fusion dans la Prime d’Activité en 2016 participent de cette logique incitative.
Le Revenu de solidarité active : concept et définition
Le Revenu de solidarité active (RSA) est un revenu de solidarité ayant « pour objet d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence, afin de lutter contre la pauvreté, encourager l’exercice ou le retour à une activité professionnelle et aider à l’insertion sociale des bénéficiaires » (Article 1 de la loi).
On distingue deux types de RSA. Le premier assure un revenu minimum garanti à tout foyer selon sa composition en contrepartie d’obligation de recherche d’emploi. Il varie selon la composition et les ressources du foyer. Le second (dit RSA “activité”) offre un complément de revenu aux personnes en emploi mais dont les ressources demeurent faibles.
La prime d’Activité introduite en 2016 a fusionné le RSA-Activité avec la Prime pour l’emploi. A travers l’institutionnalisation du RSA, il faut noter qu’occuper un emploi n’est pas toujours associé à une hausse du revenu. Cette mesure pourrait également accentuer l’emploi précaire et pousser certains à accepter n’importe quelle activité.
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Des changements contextuels et structurels qui agissent sur les tendances politiques
Nous pouvons observer dans le monde des logiques de transformation communes. Elles s’inscrivent dans un contexte partagé : mondialisation, pression concurrentielle, ralentissement de la croissance économique et démographique (en Occident), tertiarisation des économies, développement des emplois atypiques, vieillissement de la population, etc.
Ces évolutions vont de pair avec l’implication de plus en plus importante des instances internationales et européennes (Stratégie Européenne pour l’Emploi notamment). On retrouve ainsi dans de nombreux pays les mêmes logiques politiques dont le recours aux dépenses actives.
Le recours aux dépenses actives
C’est d’abord l’activation des dépenses de l’emploi. Il s’agit d’une transition des dépenses passives vers des dépenses actives. L’objectif est avant tout de lutter contre les trappes à chômage et à inactivité. Cela passe notamment par une réduction et/ou un conditionnement des indemnités chômage, un durcissement des contrôles. Parfois des dispositifs d’incitation au retour à l’emploi sont mis en place. Ils exigent cependant des ressources supplémentaires.
Les réformes institutionnelles
Pour traiter le chômage, certains pays comme le Royaume-Uni ou la France ont mis en place une politique du “guichet unique”. Il s’agit de regrouper les services d’indemnisation du chômage et d’aide au retour à l’emploi. Cette logique s’illustre à travers la fusion de l’ANPE et des ASSEDICs en une seule entité : Pôle Emploi (aujourd’hui France Travail). Concernant la négociation collective, la tendance est celle d’une décentralisation de la négociation salariale.
La définition de publics prioritaires
Les politiques du travail s’emploient de plus en plus à cibler des groupes spécifiques. Ce sont généralement les jeunes, les chômeurs de longue durée, les femmes et les seniors. Le tout répond à une problématique démographique (vieillissement de la population) et agit dans une optique de flexisécurité.
Une telle logique s’observe notamment dans les systèmes d’Etat-Providence scandinaves. Elle se caractérise par une faible protection de l’emploi mais des indemnités chômage généreuses et des politiques actives de retour à l’emploi. Il s’agit d’un équilibre entre une logique libérale anglo-saxonne et un régime conservateur qu’on retrouve en Europe continentale.
Le triangle d’or de la flexisécurité (Robert Boyer)
Le triangle d’or de la flexisécurité a été théorisé par Robert Boyer et regroupe trois principes fondamentaux. Il s’agit d’abord d’une faible protection de l’emploi, d’indemnités chômage généreuses et des politiques actives de retour à l’emploi (pour éviter le chômage de longue durée).
C’est dans ce sens que vont les dernières orientations françaises. Prenons l’exemple des dernières lois Travail et certaines dispositions comme l’instauration de barèmes et plafonds sur les indemnités de licenciement, le renforcement de la négociation au niveau de l’entreprise. L’introduction de la rupture conventionnelle (2008), l’allongement des périodes d’essai, les aides à la mobilité, l’encadrement des emplois atypiques sont autant de mesures qui vont dans ce sens.