La relation entre la France et l’Afrique est marquée par une histoire dense, parfois conflictuelle, mais également par des liens culturels, économiques et politiques profonds. Dès le XVIIe siècle, l’Afrique a suscité un intérêt croissant en France, d’abord par le biais de la traite négrière, puis par l’ère coloniale et enfin par les relations post-indépendances. Aujourd’hui, cette relation évolue, oscillant entre héritage colonial, coopération économique et influence culturelle.
La question centrale est alors de savoir si cette relation est passée d’une commisération à une véritable considération. Pour y répondre, il convient d’analyser d’abord le poids du passé colonial, ensuite la relation ambivalente postcoloniale, et enfin les mutations récentes qui témoignent d’un nouvel équilibre.
Un passé colonial lourd et complexe
Dès le XVIIe siècle, la France s’intéresse à l’Afrique, notamment avec le développement de la traite esclavagiste. Les comptoirs commerciaux comme Saint-Louis du Sénégal deviennent des centres névralgiques du commerce triangulaire, et l’adoption du Code Noir (1685) institutionnalise l’esclavage. Malgré une abolition progressive (1794 puis 1848 sous l’impulsion de Victor Schoelcher), l’Afrique reste un enjeu stratégique pour la France.
À partir de 1830, avec la conquête d’Alger, la France amorce une politique de colonisation qui s’intensifie à la fin du XIXe siècle avec la création de l’AOF (Afrique-Occidentale française) et de l’AEF (Afrique-Équatoriale française). La justification coloniale repose alors sur des discours empreints de paternalisme et de mission civilisatrice, comme le défend Jules Ferry. Cette expansion se heurte néanmoins à des résistances locales, comme la guerre du Rif (1925) et des tensions avec d’autres puissances européennes, notamment lors de l’incident de Fachoda (1898) contre le Royaume-Uni.
Parallèlement, l’Afrique est perçue à travers une imagerie exotique et stéréotypée en métropole, notamment à travers la propagande coloniale. Des figures comme le tirailleur sénégalais sur les affiches Banania illustrent cette double vision : à la fois une reconnaissance des contributions africaines et une représentation infantilisante.
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Une relation postcoloniale ambivalente
Après les indépendances des années 1960, la relation entre la France et l’Afrique ne disparaît pas, mais elle évolue sous de nouvelles formes. Certains pays, notamment le Maroc et la Tunisie, conservent de bonnes relations avec la France, tandis que l’Algérie reste marquée par un lourd passif mémoriel lié à la guerre d’indépendance (1954-1962).
Dans le domaine économique, la France maintient une forte présence à travers ses grandes entreprises comme Bolloré Logistics, TotalEnergies ou Orange, qui contrôlent des infrastructures stratégiques (ports, énergie, télécommunications). Le franc CFA, utilisé par plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale, symbolise également une dépendance monétaire persistante, bien que des projets comme l’ECO tentent d’émerger pour redéfinir cette relation.
Politiquement, la Françafrique, concept dénoncé pour ses relations ambiguës entre dirigeants africains et politiques français, reste une réalité jusqu’aux années 1980-1990. Des personnalités comme Jacques Foccart, conseiller de De Gaulle et Pompidou, incarnent cette diplomatie parallèle. Cependant, sous François Mitterrand, un tournant s’opère avec le discours de La Baule (1990), prônant une aide au développement conditionnée au respect des droits de l’Homme.
Enfin, les flux migratoires entre la France et l’Afrique transforment les sociétés. Dès les années 1960, une immigration issue du Maghreb et du Sahel s’intensifie, d’abord pour des raisons économiques puis dans un cadre de regroupement familial. Ces migrations ont contribué à la diversité culturelle de la France contemporaine, avec des figures emblématiques comme Kylian Mbappé, Omar Sy ou encore des écrivains et artistes influents.
Une mutation récente vers une relation équilibrée ?
Depuis les années 2000, le rapport entre la France et l’Afrique évolue sous l’effet de plusieurs dynamiques. D’un côté, un désengagement militaire progressif est amorcé, avec la fermeture de plusieurs bases. Cependant, la France reste impliquée dans des opérations comme Serval et Barkhane pour lutter contre le terrorisme au Sahel.
L’Afrique elle-même s’affirme sur la scène internationale. Jean-Michel Severino, dans Le Temps de l’Afrique, souligne la dynamique de croissance et l’émergence d’une classe moyenne africaine, qui attire des investisseurs du monde entier, y compris la Chine, les États-Unis et la Turquie. La France voit ainsi son précarré africain contesté.
D’un autre côté, un renouveau culturel s’opère. Les artistes africains, qu’ils soient issus du cinéma, de la musique ou de la littérature, occupent une place de plus en plus centrale dans le paysage français. L’essor des musées dédiés aux arts africains (comme le Musée du Quai Branly) illustre cette reconnaissance progressive.
Enfin, la notion de mobilité circulaire se développe : de nombreux migrants retournent en Afrique après une période en France, transformant le rapport traditionnel à l’immigration.
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Conclusion
La relation entre la France et l’Afrique est marquée par une histoire partagée, faite de domination, d’interdépendance et de transformations. Si le poids du passé colonial a longtemps influencé cette relation, la période post-indépendance a vu émerger des dynamiques nouvelles, parfois ambivalentes, oscillant entre coopération et intérêts économiques. Aujourd’hui, un rééquilibrage semble s’amorcer, porté par la montée en puissance des nations africaines et par une approche plus culturelle et partenariale de la relation franco-africaine. Cependant, ce processus reste incomplet, et l’enjeu pour les années à venir sera de construire une relation véritablement égalitaire et respectueuse des souverainetés africaines.