Face à une militarisation croissante de l’espace : l’espace peut-il devenir un champ de bataille ? La militarisation de l’espace, au sens d’utilisation de l’espace ou des capacites spatiales en soutien des forces militaires terrestres : les V2 ont été les premières armes à transiter par l’espace, avant les missiles intercontinentaux et aujourd’hui certains missiles hypersoniques. Les armées ne peuvent aujourd’hui fonctionner sans les données fournies par les satellites de localisation, d’observation, de télécommunications ou d’écoute, qui sont également au cœur des activités d’espionnage militaire. Depuis les années 1990 (guerre du Golfe de 1991, guerre du Kosovo de 1999), les États-Unis, suivis par les autres grandes puissances, ont renforcé l’usage de l’espace pour conforter leur statut de puissance dominante.
L’espace : une zone sensible
la perception depuis les années 2000 d’une vulnérabilité accrue des infrastructures spatiales militaires a amené les États-Unis à envisager une arsenalisation de l’espace, soit la possibilité d’installer des armes spatiales à des fins défensives. Ils lancent en 2002 leur doctrine du Counter Space, mettant en place un bouclier spatial (National Missile Defense) composé de systèmes d’alerte avancée (radars) et de satellites tueurs. Deux menaces majeures inquiètent : la possibilité de détruire ou neutraliser des satellites et l’intensification de l’espionnage et du brouillage militaire. En 2007, la Chine a effectué un tir ASAT, suivie par les États-Unis (2008), l’Inde (2019) et la Russie (2021), mettant fin à un moratoire tacite sur ces armes. La France a dénoncé en 2017 les opérations d’espionnage de la Russie après le passage d’un engin à proximité de son satellite de communication.
Les grandes puissances occidentales renforcent leur défense spatiale : en 2019, les États-Unis ont créé une Space Force, dotée d’un commandement et de forces spécifiques, et ont activé un système de satellites radar, le Space Fence, pour surveiller l’orbite. La France a aussi créé un commandement de l’espace en 2019, prévoyant des nanosatellites patrouilleurs et des lasers de forte puissance pour aveugler les satellites espions. Bien que le traité de 1967 sur l’espace proscrive les armes de destruction massive, il reste muet sur les autres armes. Toutefois, la cyberattaque est une méthode préférée pour neutraliser des satellites, notamment dans la guerre en Ukraine.
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Un encombrement de l’espace de plus en plus préoccupant
La destruction d’un satellite chinois en 2007 a produit 3 500 débris, tandis qu’une collision en 2009 a créé plus de 1 500 débris. La station spatiale internationale (ISS) a dû en 2020 éviter une collision avec un débris de lanceur japonais. La pollution lumineuse des satellites parasitent aussi les observations astronomiques.
La multiplication des débris spatiaux est un enjeu majeur, avec 40 000 débris de plus de 10 cm, 600 000 en orbite basse et 128 millions si l’on inclut les débris de quelques millimètres. Les débris se déplacent à 28 000 km/h, causant de graves dangers.
La NASA s’inquiète de l’expansion de Starlink, qui a déjà perdu une quarantaine de satellites. Un enjeu majeur est la mise en place d’un code de bonne conduite spatial. En 2021, la NASA et SpaceX ont signé un accord historique pour limiter les collisions. Le Royaume-Uni a proposé une résolution à l’ONU, rejetée par la Chine et la Russie. Le risque d’un “syndrome de Kessler”, une cascade de collisions qui rendrait l’orbite inutilisable, est un scénario redouté. Pour y répondre, l’ESA et la start-up CleanSpace prévoient en 2024 le lancement d’un satellite capable de capturer des débris.
L’espace, nouveau “Far West” ou bien commun international ?
Depuis 1967, le traité de l’espace repose sur les principes de liberté d’exploration, de non-appropriation, et d’utilisation pacifique. L’ONU a mis en place un comité pour une utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA).
Malgré cela, la coopération internationale est mise à mal par les tensions géopolitiques. Le projet ISS, associant 16 nations, est fragilisé par les tensions entre la Russie et l’Occident. Les grandes puissances cherchent à renforcer leur autonomie spatiale : les États-Unis ont reconquis leur autonomie avec Crew Dragon (SpaceX), le Royaume-Uni construit son propre port spatial, et la Chine développe des alternatives à l’ISS.
Les rivalités se concentrent sur l’orbite basse et surtout la Lune : la Chine et la Russie prévoient une station lunaire, tandis que les États-Unis ont lancé Artemis pour retourner sur la Lune. Artemis introduit des “zones de sécurité” et la possibilité d’exploitation des ressources lunaires, remettant en question le principe de non-appropriation de l’espace. L’exploitation des minerais lunaires pourrait marquer un tournant dans l’histoire de la conquête spatiale.
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