Jean Pisani-Ferry, économiste et professeur à Sciences Po, a remis au gouvernement le 22 mai 2023 un rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat. En effet, si tout le monde s’accorde à dire qu’il faut réaliser une transition écologique, qui va devoir la payer ?
Jean Pisani-Ferry et la Selma Mahfouz plaident pour deux pistes principales
Jean Pisani-Ferry est un économiste renommé, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris qui a occupé des postes de premier plan, notamment celui de directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Son expertise s’étend à des domaines clés tels que la macroéconomie, la gouvernance économique européenne et les politiques de croissance. C’est un proche du président de la République puisqu’en janvier 2017, il a rejoint l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. Il est chargé du « projet de transformation » du mouvement et de son cadrage budgétaire. Il est l’un des principaux inspirateurs de la réforme du droit du travail promise par Emmanuel Macron lors de sa campagne.
L’été dernier, la Première ministre a confié à Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique. En effet, compte-tenu du rythme et de l’ampleur de l’effort à fournir dans la lutte contre le réchauffement climatique, il devient indispensable de prendre en compte dès maintenant son impact sur l’économie. Rappelons que pour lutter contre le dérèglement climatique, l’Europe s’est donné un objectif clair et très ambitieux : atteindre la neutralité carbone en 2050, au terme d’une « transition climatique » qui sera à la fois profonde et rapide.
Jean Pisani-Ferry et la rapporteure Selma Mahfouz avancent une « évaluation réaliste » pour devenir neutre en carbone d’ici à 2050. Ainsi, ils estiment à 66 milliards d’euros annuels le coût des politiques vertes et plaident pour deux pistes principales : un accroissement de la dette publique et une taxation des plus fortunés. « Les conséquences seront fortes » et les prochaines années ne seront pas sans heurts. En retard sur la baisse de ses gaz à effet de serre, la France doit aller deux fois plus vite si elle veut atteindre son but.
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« L’ambition pour 2030 est de faire en dix ans ce qu’on a fait en trente »
L’étude est découpée en deux parties et douze chapitres. Il vise à améliorer la compréhension des impacts macroéconomiques de la transition climatique, en sorte que les décisions qui vont devoir être prises soient « le mieux informées possible ». Les principaux messages sont les suivants :
- La neutralité climatique est atteignable. Y parvenir suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé. Mais au regard de celles-ci cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés.
- Cette transformation repose sur trois mécanismes économiques : la réorientation du progrès technique vers des technologies vertes, la sobriété et la substitution de capital aux énergies fossiles.
- Nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat. À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. La chute du coût des énergies renouvelables est l’indice qu’une nouvelle croissance est possible.
- Pour atteindre nos objectifs pour 2030 et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans. Pour se contraindre à tenir leurs engagements, l’Union européenne et la France devraient s’imposer le respect de budgets carbone, pas seulement de cibles en 2030 et 2050.
- À l’horizon 2030, la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions, mais pour 15 % environ, en tout cas pour moins de 20 %.
- Dans les dix ans à venir, la décarbonation va appeler un supplément d’investissements d’ampleur.
- D’ici 2030, le financement de ces investissements, qui n’augmentent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social. La transition se paiera temporairement d’un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail. Plus largement, la transition induira un coût en bien-être que les indicateurs usuels (PIB) mesurent mal.
- Il faut continuer à investir dans l’amélioration des outils utilisés pour apprécier les incidences économiques de l’action climatique dans toutes ces dimensions.
- La transition est spontanément inégalitaire. Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d’une part, acquisition d’un véhicule électrique en lieu et place d’un véhicule thermique d’autre part, appellent un investissement de l’ordre d’une année de revenu. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti.
- Pour soutenir les ménages et les entreprises, les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l’effort. Compte tenu des dépenses nouvelles comme de la baisse temporaire des recettes liée au ralentissement de la croissance potentielle, le risque sur la dette publique est de l’ordre de 10 points de PIB en 2030, 15 points en 2035, 25 points en
- Il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique. L’endettement public n’est pas le premier instrument de financement de la transition. Contraindre à l’excès la possibilité d’y avoir recours risque cependant de compliquer encore la tâche des décideurs publics.
- Pour financer la transition, un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.
- Pour les dix ans qui viennent, la transition crée un risque de configuration inflationniste. Dans un contexte de brouillage sur la mesure de l’inflation, les banques centrales vont devoir préciser leur doctrine et expliciter leur réponse aux pressions sur les prix qu’induira la transition. Elles doivent au minimum conduire la politique monétaire avec doigté, et sans doute même opérer un relèvement temporaire de leur cible d’inflation.
- L’Inflation Reduction Act (IRA) américain témoigne de ce que convergence des ambitions climatiques n’implique pas convergence des stratégies. L’hétérogénéité des politiques climatiques est appelée à perdurer.
- L’Union européenne fait face à un sérieux problème de compétitivité. Elle souffre d’un prix élevé de l’énergie. L’Union européenne ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire.
- L’articulation entre politique européenne et politiques nationales doit être repensée. Aujourd’hui l’Union fixe les objectifs mais elle laisse les coûts politiques et les coûts financiers correspondants à la charge des États et prend appui sur une coordination indicative, dont l’effectivité est incertaine. L’Europe ne peut pas se permettre d’afficher une grande stratégie climatique tout en restant dans le flou quant à sa mise en œuvre effective.
- La bonne méthode pour piloter la transition doit reposer sur un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone.
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Les incidences économiques de l’action pour le climat portent sur le financement
Quoi qu’il en soit, la transition aura une « forte incidence » sur les finances publiques qui seront amenées à contribuer « substantiellement » à l’effort. Le supplément de dépenses publiques qu’elle induit « devrait être compris entre 25 et 34 milliards d’euros par an », selon les auteurs du rapport, qui évoquent un risque sur la dette publique.
Comment alors financer la transition ? D’abord en redéployant les dépenses budgétaires ou fiscales brunes. Mais, il serait « peu réaliste » de s’arrêter là. Ils considèrent donc qu’il ne faut pas exclure un financement par l’endettement public et qu’un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Cependant, au lendemain de la publication du rapport, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a déclaré que « l’impôt n’est pas une solution, notre politique est de baisser la pression fiscale ». Il a ainsi exclu « d’aggraver l’état de nos finances publiques. Les deux options qui ne sont pas de bonnes options à mon sens, c’est l’augmentation des impôts ou l’augmentation de notre dette qui est déjà trop élevée ».
Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz posent en particulier sur la table l’idée d’un prélèvement exceptionnel et « explicitement temporaire » sur le patrimoine financier des 10 % les plus aisés qui serait dédié à la transition climatique. Il n’est pas question là d’un rétablissement de l’ISF, mais d’un prélèvement « one-off », dont le paiement pourrait être effectué en une fois ou étalé dans le temps.
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Pour conclure, le rapport de Jean Pisani-Ferry et de l’inspectrice des finances Selma Mahfouz sur les incidences économiques de l’action pour le climat a évalué que la transition écologique nécessiterait un investissement supplémentaire de 66 milliards d’euros par an, dont 34 milliards assumés par les finances publiques. Pour financer cette facture colossale, les coauteurs préconisent à la fois un recours à l’impôt et à la dette