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Khâgne : La question du bonheur dans la morale : perspectives anciennes et nouvelles

Sommaire

La question de la recherche du bonheur et celle de la morale ont été envisagées selon plusieurs angles de vue au fil des siècles. Faut-il chercher le bien pour trouver le bonheur ? Ce dernier doit-il être assujetti à la loi morale ? Découvrez l’évolution de la relation entre bonheur et morale au fil des siècles.

 

Le bonheur chez les Anciens : l’eudémonisme

Dans l’Antiquité, les philosophes grecs établissent un premier lien entre bonheur et morale. Pour Socrate, puis pour Platon, le bonheur est un des fondements de la morale. La recherche du bonheur devient donc un courant de philosophie morale qui prend le nom d’eudémonisme. L’eudémonisme, c’est donc un courant de philosophie morale prôné par Socrate puis Platon, consistant à penser la recherche du bonheur comme la quête ultime, naturelle de tout au homme. Pour eux, le bonheur est une finalité morale. Ainsi, est morale l’attitude de l’homme cherchant à atteindre un bonheur durable. Seulement, ils n’encouragent pas l’atteinte du bonheur selon n’importe quel moyen. Voilà deux chemins vers la moralité et le bonheur pour les Grecs :

 

La pratique de la vertu

  • Premièrement, la pratique de la vertu. Il s’agit pour eux de réaliser des actions en suivant une attitude d’excellence, appelée “l’arété” en grec. Chez les Grecs, la notion “d’arété” doit être au fondement de toute action et de toute façon de penser. Elle qualifie la recherche de l’excellence, à la fois excellence morale, et excellence du faire. “L’arété” d’une personne est considérée comme ce que la personne a à faire : par exemple, “l’arété” d’un cheval est sa rapidité, “l’arété” d’un serviteur est de bien servir, avec honnêteté et dévouement…Ainsi, chez les Grecs, “l’arété” est traduit par le terme “vertu” : il s’agit d’un absolu de perfection (on retrouve la notion d’excellence.). La vertu est à la fois moyen d’atteindre le bonheur et fin morale.

La contemplation des idées

  • Deuxièmement, la contemplation des idées éternelles. C’est le mythe de la Caverne. Il s’agit de contempler l’“eidos” des choses, l’essence même des choses qui montre la voie vers le bonheur, la beauté et la morale.

Pour Aristote, pour vivre vertueusement, il s’agit d’user de la sagesse pratique, appelée “phronesis. La “phronesis”, c’est l’intelligence pratique qui guide l’action morale.

Ainsi, selon Aristote, la morale consiste en la poursuite de la vertu à travers l’exercice de la “phronesis”, afin de parvenir à l'”eudaimonia”. On constate donc que pour les Grecs, la morale n’est pas une fin en soi, elle est un moyen d’atteindre le bonheur véritable.

Lire plus : Morales antiques et morales modernes : quelle différence ? 2

 

Le bonheur dans la morale chrétienne  

Le christianisme bouleverse cette perspective eudémoniste en redéfinissant le bonheur comme une récompense eschatologique.

La morale chrétienne place le bonheur dans l’union avec Dieu et la béatitude après la mort, plutôt que dans la vie terrestre. Les penseurs médiévaux comme Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin distinguent le bonheur terrestre, imparfait et passager, du bonheur céleste, parfait et éternel. Le bonheur moral réside donc dans la conformité à la volonté divine, où les vertus chrétiennes (charité, humilité, foi) jouent un rôle central.

Dans cette conception, le bonheur n’est pas atteint par l’effort humain seul, mais par la grâce divine. La morale chrétienne valorise la souffrance et la pénitence, souvent perçues comme des voies vers le salut et la béatitude éternelle. Ainsi, l’idée de bonheur immédiat sur terre est relativisée par l’aspiration à un bonheur divin.

 

L’essor de l’Utilitarisme : Bonheur collectif

Aux XVIIIe et XIXe siècles, avec Jeremy Bentham et John Stuart Mill, la relation entre morale et bonheur est repensée. à travers le courant de pensée de l’utilitarisme. Ce courant philosophique, influencé par les Lumières, associe la morale au plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Bentham prône une éthique hédoniste basée sur le calcul des plaisirs et des peines, où l’action morale est celle qui maximise le bien-être collectif. Le bonheur, ici, est strictement empirique et mesurable, et la morale est envisagée selon la quantité de bonheur qu’engendre une action.  Ainsi, est morale l’action qui produit un maximum de bonheur.

 

La perspective kantienne : Le bonheur , une affaire de devoir

Kant adopte une vision plus rigoriste de la morale, dissociant le bonheur de la moralité. Dans sa Critique de la raison pratique, Kant affirme que la morale repose sur le devoir et la raison, non sur la recherche du bonheur. 

Pour Kant, l’impératif catégorique exige que l’on agisse selon des principes universalisables, indépendamment des conséquences ou du bonheur individuel. La morale kantienne est ainsi déontologique : ce qui importe, c’est l’intention morale derrière l’action, non ses effets sur le bonheur.

Kant dénoue le lien antique entre morale et bonheur pour plusieurs raisons ; 

  • Chercher son bonheur, quête personnelle par définition, passe souvent par la poursuite de calculs purement intéressés. C’est bien contraire à l’acte désintéressé que prône Kant.  

  • Chercher son bonheur, c’est accepter de faire passer son bonheur au-dessus de celui des autres, quitte à envisager les autres comme moyens d’y parvenir. Or, un des impératifs catégoriques kantien ordonne de ne pas traiter l’humanité comme un moyen, mais toujours comme un fin.   

Bien sûr, Kant reconnaît que le bonheur est un idéal naturel pour l’homme, mais, pour lui, il ne peut pas et ne doit pas constituer la base de la morale. 

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Le bonheur au XXe siècle : l’existentialisme de Sartre

Au XXe siècle, des courants comme l’existentialisme, avec Jean-Paul Sartre, introduisent une nouvelle complexité dans la relation entre morale et bonheur. Sartre rejette l’idée d’une essence humaine fixe ou d’une morale universelle. Pour lui, l’homme est libre de définir son propre bonheur, mais cette liberté entraîne une responsabilité morale immense. Le bonheur devient un choix individuel et non une fin morale collective ou préétablie. 

 

Conclusion

Si, pour les Grecs, la recherche du bonheur détient une finalité morale intrinsèque, la modernité tend à dissocier bonheur et morale, le bonheur devenant unique finalité, comme pour Bentham, ou une quête tout à fait distincte de celle de la morale, comme l’affirme Kant. 

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Cindy Moreira