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La fin de l’ère Assad, le Moyen-Orient se redessine en profondeur

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Le 8 décembre 2024, la coalition insurgée, dominée par Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), après avoir « libéré » Damas, annonce la fin de 54 années de dictature de la famille Assad. La chute de la République arabe syrienne s’est déroulée presque sans aucun combat. L’ancien palais présidentiel a été pillé, les portraits de Bachar al-Assad ont été décrochés et des militants politiques ont été libérés de prison par les rebelles. Nombreux sont les Syriens qui ont célébré la chute de l’ancien président dans les rues. La fin rapide du régime syrien a étonné les Occidentaux. La Syrie semble prendre une nouvelle forme, mais vers quoi se dirige-t-elle ?

 

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La fin de l’ère Assad : un bouleversement inattendu ?

La chute du régime Assad a surpris les Occidentaux par sa rapidité : elle a duré 12 jours uniquement, mais la situation était depuis longtemps dégradée en Syrie. Même si l’Armée arabe syrienne était perçue victorieuse, les défis restaient conséquents : le pays était (et est) en ruine et il est difficile de dessiner des perspectives pour la Syrie.

L’Armée arabe syrienne était dans un état de faiblesse absolue, épuisée de sa guerre contre Daech depuis une dizaine d’années. En mars 2013, un rapport de l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres « estime que les désertions réduisent l’armée à 50 000 militaires loyaux au régime, alors qu’ils étaient 220 000 il y a deux ans ». Bachar al-Assad éprouvait du mépris pour son armée, les soldats et les commandants étant très mal payés, n’ont pas voulu défendre leur ancien président.

Le ressentiment des Syriens envers le Boucher de Damas ne faisait que grandir ces dernières années, à cause de ses exactions envers son peuple. Le 21 août 2013, une attaque au gaz sarin était menée dans le quartier de la Ghouta à Damas par le régime de Bachar al-Assad contre sa propre population, faisant plus de 1400 morts, dont de nombreux enfants.

Depuis les sanctions en vertu de la loi César mises en place par les États-Unis en 2014, la Syrie s’est transformée en un État défaillant. Ces sanctions ont pour but d’obliger le gouvernement syrien et ses alliés, la Russie et l’Iran, à rendre des comptes pour les crimes commis en décourageant les investisseurs étrangers de faire des affaires avec le gouvernement syrien.

À cause de son refus de négocier avec ses anciens alliés, Bachar al-Assad a fini par s’isoler. Les États arabes se méfiaient de la Syrie à cause de l’influence importante de l’Iran en Syrie. À la fin de son règne, Bachar al-Assad se désintéressait de ses alliés comme le Hezbollah, la Russie et l’Iran, croyant son gouvernement suffisamment solide pour tenir. Alors que ces acteurs ont souvent joué un rôle majeur en Syrie, il y a quelques années, la Russie, le Hezbollah et l’Iran ont permis aux troupes gouvernementales syriennes de reprendre des zones clefs en Syrie.

Si on regardait de près, la fin du règne Assad était proche et une négociation entre le président déchu et Recep Tayyip Erdoğan avait eu lieu pour envisager une transition du pouvoir en douceur.

 

La Syrie du HTC : une nouvelle dynamique ?

Concentrons-nous maintenant sur la composition des rebelles qui ont pris le pouvoir et du gouvernement de transition syrien. À la tête des rebelles menés par Hayat Tahrir Al-Cham (HTC, Organisation de libération du Levant), une ancienne branche d’Al-Qaïda en Syrie, Abou Mohammed al-Joulani. L’objectif principal de la coalition est de libérer le pays de la présence d’Assad et de la présence militaire de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie. L’homme fort du pays, Abou Mohammed al-Joulani, a anciennement rejoint Al-Qaïda en Irak et l’État islamique d’Irak avant de rompre avec les deux organisations en 2017 et de créer le HTC. Avec les années, il s’éloigne du salafisme et du djihadisme. L’objectif des rebelles était principalement de renverser la dictature Assad et il leur faut maintenant se mettre d’accord en ce qui concerne la direction que prend la Syrie. Contrairement aux autres organisations islamistes comme Al-Qaïda ou l’État islamique, les rebelles n’ont aucune visée envers les pays occidentaux.

Le HTC est un groupe rebelle islamiste sunnite qui est plutôt tolérant envers la présence d’autres minorités. Dans les zones contrôlées par le HTC, les filles vont à l’école, les chrétiens ont le droit de célébrer leurs fêtes traditionnelles et les femmes ne sont pas obligées de porter le voile. Cependant, les chrétiens n’ont pas le droit d’afficher le crucifix en extérieur. Contrairement à l’ancien gouvernement syrien, les rebelles n’ont commis aucune exaction envers les civils pour les prises d’Alep et de Hama.

La diaspora syrienne, en liesse après avoir appris la destitution de Bachar al-Assad, envisage de rentrer en Syrie. Nombreux sont les Syriens qui ont rejoint leur région d’origine après l’annonce de la prise de pouvoir par le HTC.

 

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Quel avenir pour la Syrie ?

La chute de la dynastie Assad fait briller une lueur d’espoir pour les Syriens. La question est maintenant de savoir vers où se dirige le nouveau gouvernement de transition syrien… Vont-ils imposer la Charia ou bien vont-ils mettre en place une république laïque ? Le nouveau gouvernement de transition syrien, avant d’être un groupe islamiste, est un mouvement syrien, mais il est possible que Damas emprunte la voie de la religion d’État…

Des inquiétudes de la part des minorités commencent à se faire de plus en plus entendre, notamment de la part de la minorité alaouite, minorité dont faisait partie Bachar al-Assad. La Syrie semble ne pas être à l’abri de massacres, voire d’une nouvelle guerre civile. Malgré la qualification de la part du gouvernement de « cas isolés », des vidéos d’agressions envers les alaouites sont de plus en plus nombreuses. Les nouvelles autorités affirment vouloir protéger les différentes minorités ethniques et religieuses du pays. « Elles vont très vite devoir montrer qu’elles ne se laissent pas déborder » selon Isabelle Labeyrie.

Pour ne pas glisser vers une nouvelle guerre civile, le groupe islamiste va devoir s’imposer, mais les groupes armés sont nombreux en Syrie, à cause de la guerre civile qui secoue le pays depuis treize ans ; dans un contexte où on se pose la question de l’unité du groupe de révolution dans le futur… Ce nouveau gouvernement étant composé de groupes hétérogènes, va-t-il s’entendre sur l’avenir de la Syrie maintenant que leur objectif commun initial de renverser le président est atteint ?

L’avenir de la Syrie se joue aussi depuis l’étranger et notamment depuis la Turquie qui semble être le grand vainqueur de ce renversement politique. Le 7 décembre 2024, les ministres des Affaires étrangères de l’Iran, de la Turquie et de la Russie se sont mis d’accord sur « l’après Assad », largement mené par Ankara. Recep Tayyip Erdoğan paraît prendre le contrôle de la situation après une longue politique d’investissement en se rapprochant largement des nouvelles autorités en place à Damas. Il a comme intérêts majeurs de gagner en influence, de fragiliser l’ennemi kurde et de renvoyer les réfugiés syriens chez eux (la Turquie accueille 3,6 millions de réfugiés syriens selon le ministère de l’Intérieur turc). La Russie et l’Iran semblent sortir perdants de cette altération. Moscou, occupé en Ukraine, n’a pas su conserver ses avantages en Syrie : les militaires ont commencé à quitter pacifiquement les bases militaires russes en Syrie. L’Iran, quant à lui, déstabilisé depuis le meurtre des leaders du Hezbollah, se concentre davantage sur sa survie et ne cherche plus à sauver Bachar al-Assad, le Hezbollah et les Houtis au Yémen. La Turquie semble donc être le principal acteur extérieur véritablement influent dans la Syrie de demain.

 

La chute du régime Assad marque un tournant historique pour la Syrie, cette transition amorcée offre une rare opportunité de reconstruire un pays dévasté par treize années de guerre civile, mais elle soulève également d’importants défis politiques, sociaux et sécuritaires. Si la fin d’une dictature laisse entrevoir un espoir de paix et de réconciliation, les tensions internes et les rivalités entre les différentes composantes du nouveau gouvernement pourraient raviver les divisions. La nécessité de protéger les minorités et de préserver l’unité nationale apparaît cruciale pour éviter une rechute dans le chaos. Sur la scène internationale, la Syrie devient un terrain de jeu stratégique où la Turquie semble s’imposer comme le principal gagnant du bouleversement politique, tandis que la Russie et l’Iran reculent. Ce nouvel équilibre des forces pourrait influencer durablement l’avenir de la région. Le peuple syrien, épuisé par des décennies de violence, attend désormais que cette nouvelle ère soit synonyme de paix durable et de justice, plutôt que d’un simple changement de domination.

 

Nous remercions l’association GEM ONU, partenaire de Mister Prépa et sa rédactrice Noémie Phélipon, pour l’écriture de cet article.

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