Si la BCE se pose actuellement la question de remonter encore ses taux d’intérêt au-delà des 3%, il y a peu, on pouvait voir de nombreux débats autour des taux d’intérêt négatifs. Mais les taux négatifs, qu’est-ce que c’est ?
Une introduction aux taux d’intérêt négatifs
En 1930, dans « The Theory of Interest”, Irving Fisher essaye d’approcher la définition des taux d’intérêt négatifs par une métaphore… surprenante ! Il prend le cas des biscuits de mer, connus pour leur longue résistance dans le temps. Fun fact, vous pouvez en trouver un datant de 1852 au musée maritime du Danemark à Elsinore.
Prenez un groupe de marins sur une île déserte avec pour seule nourriture des stocks de biscuits de mer, nous dit Irving. Comment les marins vont-ils se prêter et s’emprunter les biscuits de mer entre eux ? Quel taux sera en vigueur ?
Irving Fisher répond qu’il ne peut qu’être de zéro ! Mettons qu’un des marins emprunte un biscuit à un taux positif (qu’il doive le rembourser avec intérêt, des morceaux de biscuits en plus). Il devra alors dépenser plus qu’un biscuit à l’avenir pour rembourser l’emprunt. Il n’a alors pas intérêt à emprunter un biscuit mais plutôt à manger dans ses stocks. Supposons qu’un marin n’ait plus de biscuits et soit obligé d’en emprunter un pour survivre. Ce dernier n’est pas en position d’emprunter puisque le prêteur sait qu’il ne pourra pas rembourser à l’avenir. Ainsi, aucun marin ne va accepter d’emprunter à taux positif, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les marins économes !
Changeons à présent le décor : remplaçons les biscuits de mer par des figues périssables. Dans ce scénario nous dit Irving Fisher, les taux d’intérêt seraient alors négatifs. Il n’y a pas de raison pour que des taux d’intérêt soient positifs plutôt que négatifs conclut l’économiste.
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Robinson Crusoe et les taux d’intérêt
Vous avez aimé la métaphore d’Irving Fisher ? Vous allez adorer celle de Silvio Gesell. Dans son article « The Natural Economic Order » (2016), Silvio Gesell utilise l’exemple de Robinson Crusoe.
Robinson, seul sur son île déserte, s’efforce de se créer des provisions pour survivre. Cependant, malgré toute l’énergie qu’il dépense, Robinson a un retour sur investissement négatif sur ce qu’il épargne : les fruits pourrissent, les souris mangent ses réserves…
Silvio Gesell met alors en scène un nouvel arrivant. Un étranger débarque sur l’île et propose à Robinson un deal. En échange de nourriture et d’équipement pour développer une ferme de son côté, l’étranger lui promet un remboursement futur. Cependant à un détail près : les quantités seront moins importantes que celles empruntées (-20% de taux d’intérêt).
En l’absence d’autres étrangers sur l’île, Robinson ne peut pas négocier pour avoir un taux d’intérêt plus élevé. Toutefois, sans hésitations, Robinson accepte. Cette transaction permet en effet à Robinson de disposer pour sûr de nourriture à l’avenir. Tout le monde y gagne !
Poursuivant dans cette réflexion, Silvio Gesell a un souhait. Afin d’éviter des phénomènes d’encaisses oisives (le terme n’avait pas encore émergé), il aimerait que la monnaie, comme les fruits, pourrisse. Cela empêcherait les épargnants de freiner l’activité économique. Aujourd’hui, son souhait est exaucé et des monnaies fondantes existent et correspondent à ces fruits qui pourrissent.
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Retour à la réalité
Apparus au lendemain de la crise financière de 2007-2009, les taux d’intérêt négatifs signifient que les investisseurs doivent payer pour prêter leurs fonds. Très utilisés par les banques centrales, ils permettaient aux investisseurs d’investir dans des obligations d’Etat afin d’éviter de faire face à de plus grosses pertes en investissant dans d’autres produits.
En 2016, la BoJ (Bank of Japan) adopte une politique de taux d’intérêt négatifs et fixe son taux de dépôt à -0,1%. C’est-à-dire que les institutions financières devaient payer pour déposer leurs fonds à la banque centrale. La BoJ a été très critiquée pour avoir adopté une telle mesure. En effet, elle était accusée de menacer la profitabilité des banques et de pénaliser les ménages économes.
Pourquoi mettre en place une telle mesure ? La BoJ voulait par ce canal stimuler le crédit (et l’activité économique) en essayant d’atteindre la cible de 2% d’inflation. Si cette mesure peut paraître folle aujourd’hui, la BoJ prend cette mesure dans un contexte de Monde sans inflation. En effet, l’inflation était quasi nulle en décembre 2015 (+0,1%) et la consommation des ménages en recul (-4,4% sur un an). En jouant avec des taux négatifs, la Boj a réussi à éviter la déflation pour atteindre 0,48% d’inflation en 2017. Ainsi, en s’opposant aux mythes économiques (considération péjorative des taux d’intérêt négatifs), la BoJ a atteint son objectif.
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