L’année dernière, Majorque a accueilli 12,5 millions de touristes, et cette année s’annonce tout aussi dynamique sur le plan touristique, grâce à son climat ensoleillé et à ses célèbres soirées festives. Cependant, l’atmosphère a changé. De nombreux habitants de l’île expriment leur mécontentement face à ce qu’ils perçoivent comme une exploitation excessive de leur territoire, principalement due au tourisme de masse et à ses impacts négatifs. Récemment, des milliers de résidents ont manifesté pour dénoncer ces problèmes et demander des solutions concrètes.
Majorque, réputée pour ses plages idylliques, ses fêtes animées et ses journées ensoleillées, suscite un sentiment de malaise chez ses habitants. Ces derniers réclament une régulation du flux touristique, notamment en limitant les options d’hébergement disponibles. Ils s’interrogent toutefois sur les répercussions économiques d’une telle limitation. Moins de touristes ne signifierait-il pas une diminution des revenus pour l’île ?
Bien que le tourisme ait apporté des bénéfices considérables à Majorque, de nombreux locaux estiment aujourd’hui que ces richesses sont de plus en plus concentrées entre les mains de quelques acteurs économiques, au détriment de la population. Les habitants souhaitent sensibiliser les visiteurs à la fragilité des ressources de l’île, comme l’eau, qui fait déjà l’objet de restrictions.
En outre, la forte affluence touristique a contribué à une crise du logement, rendant les logements abordables de plus en plus rares pour les résidents locaux. Le défi majeur pour Majorque réside donc dans la recherche d’un équilibre entre la prospérité économique générée par le tourisme et la préservation du bien-être de sa population et de son environnement.
Genèse du tourisme à Majorque
Autrefois, l’île de Majorque était principalement habitée par des pêcheurs. C’est avec l’essor du tourisme que l’économie locale a véritablement décollé. Dans les années 1950, l’augmentation du niveau de vie en Europe a rendu les voyages plus accessibles, attirant ainsi un nombre croissant de visiteurs, en particulier en provenance d’Allemagne. En 1970, l’île accueillait environ 2 millions de touristes, chiffre qui a grimpé à plus de 8 millions en l’an 2000.
Cependant, cette hausse de fréquentation n’a pas été sans conséquences. Les comportements excessifs, notamment liés à la consommation d’alcool, ont commencé à poser problème. En réponse à ces dérives, une interdiction de consommer de l’alcool sur les plages a été instaurée en 2024. Pourtant, malgré cette réglementation, le manque de contrôle effectif fait que de nombreux visiteurs continuent à boire sur le littoral.
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Le tourisme aux Canaries : entre prospérité et tensions
Tenerife, la plus grande des îles Canaries, a vu ses premiers touristes arriver au XIXe siècle, à bord de navires après de longs et éprouvants voyages. Cependant, c’est dans les années 1960 que l’archipel a connu un véritable essor touristique, rendu possible par l’augmentation des liaisons aériennes. Depuis lors, le tourisme est devenu une source majeure de richesse pour les Canaries. En 2023, l’archipel a accueilli plus de 6 millions de visiteurs. Toutefois, pour les habitants, ce chiffre est devenu excessif, d’autant plus que les infrastructures n’ont pas suivi cette croissance, entraînant des problèmes tels que des embouteillages chroniques.
La plage de La Tejita, avec son sable noir d’origine volcanique, incarne la beauté naturelle des Canaries, mais elle souffre également des conséquences du tourisme de masse. On y retrouve des déchets physiques, tels que des bouteilles abandonnées, tandis que les hôtels peinent à gérer l’évacuation de leurs eaux usées. La pollution sonore est aussi devenue un problème croissant.
Cette forme d’exploitation des ressources locales est accentuée par les investissements étrangers, qui se concentrent sur la construction d’hôtels de luxe. Pendant ce temps, la majorité des habitants de Tenerife travaillent dans le secteur touristique, sans que leurs revenus ne suffisent à compenser la hausse du coût de la vie sur l’île.
Face à ces tensions, le phénomène de “turismofobia” a pris de l’ampleur, avec des manifestations récurrentes pour dénoncer les impacts négatifs du tourisme de masse. Des actions symboliques, telles que celles observées à Barcelone où des manifestants utilisent des pistolets à eau pour protester, illustrent la frustration croissante des résidents. La question reste : comment résoudre cette dichotomie où le tourisme, tout en étant une source essentielle de revenus, menace en même temps l’équilibre écologique et social des îles ?
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Vers un tourisme durable : est-ce possible ?
Un tourisme durable implique un développement équilibré, qui génère des bénéfices non seulement économiques, mais aussi sociaux, culturels et environnementaux. Cela signifie que les revenus du tourisme devraient en priorité bénéficier aux populations locales tout en préservant la culture et le patrimoine de la communauté. Il s’agit également de veiller à ce que le tourisme ne dépasse pas la capacité des infrastructures et ne mette pas en péril les écosystèmes.
Actuellement, comme observé à Ténérife et à Majorque, le tourisme de masse ne peut pas être qualifié de durable. Les infrastructures sont saturées, l’environnement est dégradé et les bénéfices économiques ne sont pas répartis équitablement entre les habitants. Que faire pour rendre le tourisme plus durable ?
Des initiatives montrent qu’il est possible d’inverser la tendance, à condition que les gouvernements interviennent de manière décisive. Par exemple, Maya Bay en Thaïlande, rendue célèbre par le film “La Plage” avec Leonardo DiCaprio, a souffert d’une surfréquentation touristique qui a détruit ses récifs coralliens. En 2018, le gouvernement a décidé de fermer la baie aux touristes pendant quatre ans, permettant ainsi aux écosystèmes marins de se régénérer. La réouverture est désormais strictement contrôlée et limitée, garantissant la préservation des lieux.
En Amérique latine, le Costa Rica est pionnier en matière de tourisme durable, avec des certifications environnementales pour les hôtels. La région de La Fortuna, située au cœur de la forêt tropicale, est un exemple d’écotourisme. Cependant, cette approche s’accompagne souvent de prix plus élevés, rendant l’accessibilité du tourisme durable parfois limitée.
Bien que les revenus touristiques continuent de croître en Espagne, il est encore trop tôt pour affirmer que le pays s’oriente vers un modèle de tourisme durable. Des mesures ambitieuses et concertées sont nécessaires pour trouver un équilibre entre l’attrait économique du tourisme et la préservation des ressources naturelles et culturelles.