La violence entraîne la violence. Confronté à un environnement violent, l’homme va, par nature, réagir en adoptant cette même agressivité. Voici trois exemples, dans lesquels on peut se demander si un homme confronté à un monde violent ne semble pas avoir d’autre choix que de lui-même devenir violent. Dans Vipère au poing, roman de Hervé Bazin, l’éducation violente de sa mère forme une personnalité méfiante d’un jeune garçon, tandis que dans La Route, de Cormac McCarthy, un père est obligé de tuer avant que son enfant ne le soit. Enfin, la tragédie grecque illustre cette vengeance qui ne s’arrête jamais, la « Loi du Talion » avec ici l’exemple de la mort de Patrocle, d’Hector et Achille.
La reproduction d’une éducation violente : l’exemple de “Vipère au poing”
« J’entre à peine dans la vie et, grâce à toi, je ne crois plus à rien, ni à personne. […] Les plus sincères amitiés, les bonnes volontés, les tendresses à venir, je les soupçonnerai, je les découragerai, je les renierai. […] Aimer, c’est s’abdiquer. Haïr, c’est s’affirmer. »
Tels sont les mots de Jean Rezeau à sa mère, dans le chapitre XXV du roman Vipère au poing d’Hervé Bazin. Le jeune garçon vit une enfance difficile, avec ses deux frères, puisque leur mère Paule les martyrise. Elle frappe ses enfants, les monte les uns contre les autres, tant et si bien que ceux-ci la surnomment « Folcoche », nom cruel issu d’une rencontre de « folle » et « cochonne ». Ils iront jusqu’à tenter de la tuer, en l’empoisonnant avec de la belladone, ou essayant de la noyer, au cours d’une balade en barque.
Jean, surnommé « Brasse-Bouillon », finit le roman sur cette citation. Elle illustre la construction du jeune homme qui a subi les sévices et ainsi la violence de sa mère pendant son enfance, qui sera un adulte désabusé. La violence a ainsi un impact sur la construction de sa personnalité. Un environnement violent forge celui qui y est confronté. Alors que celui, – ici Folcoche – qui exerce un comportement violent, vise à faire souffrir, la violence modèle.
On apprend par ailleurs à la fin du roman que la mère des garçons a elle-même été victime du modèle d’éducation très dur de ses parents. Ce mécanisme agressif est donc bien contagieux.
La violence comme mode de survie dans “La Route”
Un environnement violent engendre une personnalité violente, une personnalité qui serait plus proche de l’animal que de l’homme, répondant à ses pulsions, visant à nuire à l’autre pour se défendre. Un père de famille peut oublier toute son humanité dans le seul but de protéger son fils, comme l’instinct animal le lui dicterait. « Celui qui te touche, je le tue », explique le père à son fils, sur La Route d’un monde post-apocalyptique, décrit par l’écrivain Cormac McCarthy. Ce roman les place dans un paysage désolé, en ruines, où les rares survivants sont prêts à tout pour se nourrir, même s’ils doivent en venir à se dévorer entre eux. Les humains restants sont violents, et représentent un danger.
On retrouve ici un exemple type du récit catastrophe de « l’homme est un loup pour l’homme », une fois que la civilisation n’est plus là pour empêcher l’avènement de la loi du plus fort. Un père fait tout pour protéger son fils, qui fait partie des faibles. Il tue sans sentiments, et les seules inquiétudes reflétées dans le roman sont celles à l’égard de son fils :
C’est mon enfant, dit-il. Je suis en train de lui laver les cheveux pour enlever les restes de la cervelle d’un mort. C’est mon rôle.”
Ainsi se justifie le père, après avoir abattu avec son revolver, un homme qui voulait tuer son petit.
La violence, s’exprimant ici par un meurtre, est rationalisée par son auteur. Elle est explicable, et semble justifiée. L’environnement en permanence dangereux pour son enfant, ne laisse pas d’autre choix au père que de lui-même exercer une certaine forme de violence, afin de rester en vie.
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La violence comme forme de vengeance : un cercle vicieux
La violence, par l’éducation ou l’environnement, entraîne la violence. Ce mécanisme en cercle vicieux, se retrouve également dans la volonté de vengeance. C’est l’illustration de la Loi du Talion, connue sous l’expression « œil pour œil, dent pour dent ». Le mot Talion vient du latin « talis », qui se traduit par « tel que ». Ainsi, pour toute violence commise, même violence sera rendue. La violence serait donc un moyen d’expression de la justice. Mais une justice à l’efficacité douteuse, qui n’aurait pas de fin, avec des représailles qui ne feraient que s’amplifier.
Dans les mythes grecs, alors que les héros répondent à leurs pulsions et vengent leurs proches assassinés, les représailles ne s’arrêtent pas. Comme dans l’Iliade d’Homère, où, lors de la guerre de Troie, Achille, furieux de la mort de son compagnon Patrocle, tuera par pure vengeance, et avec cruauté, Hector, le fils du roi Priam et frère de Paris. Il traînera sa dépouille en l’attachant à son char. Ce crime en réponse à un autre crime violent, soit l’assassinat de son compagnon, sera répondu. Paris vengera en effet son frère en envoyant une flèche dans le fameux talon d’Achille, guidé par la main du dieu Apollon. Le héros supposé invincible succombera à sa blessure, témoin d’une vengeance qui ne s’arrête pas.
La violence est donc à caractère réciproque. Dès lors, se pose la question de comment arrêter ce cycle. Les sociétés modernes abandonnent cette loi du talion pour rechercher une nouvelle manière d’appliquer la justice. Au lieu d’un sempiternel cercle de vengeance, essayer de réparer le tort envers les victimes.
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