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La violence dans Virgin Suicides de Sofia Coppola

Sommaire

Le thème au programme cette année pour l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Aujourd’hui, nous nous intéresserons au film Virgin Suicides de Sofia Coppola et la manière dont la fin tragique du film reflète la violence morale provenant de la société que les cinq soeurs ont du subir, la violence physique qu’elle s’infligent répondant à une critique de la société américaine et du regard qu’elle porte sur les jeunes filles.

 

Le film Virgin Suicides 

Le film Virgin Suicides est sorti en 1999. C’est le premier film de la réalisatrice Sofia Coppola, également connue pour Lost in Translation ou encore Marie-Antoinette. C’est l’adaptation filmique du livre éponyme de Jeffrey Eugenides. Le film se concentre autour de la vie de cinq sœurs, les Lisbon, reconnaissables à leur chevelure blonde, qui vivent dans une banlieue américaine près de Detroit dans les années 1970. 

Le film débute par la tentative de suicide de l’une des soeurs, Cecilia, qui s’ouvre les veines. Dès les premières minutes du film, nous comprenons donc le malaise qui règne dans cette famille. Quand le médecin lui demande d’expliquer son geste, Cécilia lui répond, dans une phrase désormais devenue culte : «  Vous n’avez vraisemblablement jamais été une jeune fille de 13 ans. » Tout le film repose sur ce malaise d’exister en tant que jeune fille dans la société américaine bourgeoise des années 70, malaise qui sera de plus en plus partagé par les autres sœurs après la tentative de suicide de Cécilia quand leur mère, paniquée, va les couper du monde. On suit ainsi le récit des soeurs Lisbon et de leur descente aux enfers à travers les yeux et les paroles des jeunes garçons du quartier, qui en sont amoureux.

 

L’hypersexualisation des personnages féminins à travers le regard masculin

La première chose à remarquer est le choix d’une narration qui se fait entièrement en voix-off à partir du regard que porte sur elles les garçons du quartier. Le récit est donc parcellaire et leurs apparitions sont presque toujours fantasmées, apparaissant comme inaccessibles, dans des scènes relevant souvent du rêve. Par ce choix de récit, elles sont en quelque sorte dépossédées d’elles-mêmes, et leur triste sort restera un mystère. C’est comme si leur vie ne leur appartenait pas, elles doivent passer par le récit des garçons pour exister. 

Cette narration faite par des voix masculines n’est bien sûr pas un hasard : cela s’inscrit dans une attention plus large au fait d’être une adolescente aux Etats-Unis dans les années 70, qui doivent cacher leurs règles, obéir à des diktats de beauté, ce qui débute dès la première scène présentant tous leur nécessaire d’esthétique. On est ainsi dans un moment de passage entre le fait d’être une enfant et d’être une femme, ce que résume la réplique  “vous n”avez vraisemblablement jamais été une fille de 13 ans”, qui sont de plus en plus contraintes dans certaines normes et ne peuvent en échapper. De plus en plus objet de fantasme, d’autres modèles ne semblent pas possibles, elles semblent ainsi contraintes à l’image de la carte visible durant la première tentative de suicide de Cécilia, une vierge qui est néanmoins souillée de sang. 

 

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La violence des normes bourgeoises sur les soeurs Lisbon

Ainsi, tandis qu’elle deviennent de plus en plus objet de fantasme par le regard masculin, celles-ci ne peuvent pas non plus en être maître par une deuxième pression, en sens inverse, qui vient de leur famille : tandis qu’elles sont objet de désir, elles ne peuvent pas non plus être désirantes, à l’image de leur mère qui rallonge leurs robes pour le bal du lycée : elles doivent s’en tenir à l’apparence de filles pures, chrétiennes, et donc effacer toute individualité et désirs propres. 

Cela est donc vécu comme un étouffement par elles, qu’on retrouve dans l’image de l’arbre mort en haut duquel la plus jeune aimait se percher, et qui meurt lentement au cours du film, rongé par un nuisible. Enfermées de plus en plus au cours du film, elles semblent mourir lentement : quand leurs parents veulent les protéger du monde, ils ne font en fait que les tuer doucement, les privant d’exister par elles-même et pour elles-mêmes. La lenteur du film participe également à cette sensation de vie qui peu à peu s’affaiblit, d’un enfermement du film sur lui-même, où la violence contre les sœurs Lisbon se fait de plus en plus visible. C’est bien ce pouvoir familial abusif, qu’on peut étendre à une société elle-même contraignante pour les adolescentes, qui conduira les soeurs à un sort tragique à la fin du film, seule issue possible pour elles. 

 

Une violence résolue à la fin du film

Ainsi, entrée dans une spirale dévastatrice vers la fin du film, les sœurs ne peuvent s’en échapper. Contre un puritanisme les enfermant dans une certaine image, certains actes qu’elles ne peuvent contredire, ces dernières ne semblent plus avoir d’autres issues possibles que la mort, à l’image de leur maison barricadée et de leur impossibilité de sortir

Ainsi, elles se suicident toutes en même temps, découvertes au fur et à mesure à la fin du film par les policiers, alors qu’elles avaient prévues de s’échapper. Toute la force du film repose sur cette fin en demie-teinte : les réelles raisons ne sont pas dites, car nous sommes dans un récit mené par le regard des garçons du quartier. Ainsi, le mystère reste entier, seule la sensation de malaise de ces jeunes filles avait été atteinte par le film, nous n’avons pu que partager un peu de cette sensation de violence que peuvent ressentir les adolescentes dans cette société puritaine, sans pour autant comprendre réellement la manière dont elles le ressentait, et pourquoi elles ont finalement abandonné l’idée de fuir. 

C’est cette absence d’explication qui rend la fin d’autant plus violente, inattendue presque, et fait ainsi voler en éclat toute les règles qui les contraignaient auparavant dans le film : elles sont enfin devenues maîtresses de leur propre, mais à quel prix. 

 

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En conclusion ce film est très intéressant pour étudier la représentation d’une violence plus sourde qu’une simple violence physique, celle de mœurs trop puritaines qui contraignent les adolescentes dans un simple statut d’objet, contre leurs désirs. Mais ce film nous renseigne également sur la manière dont il est difficile de parler de la façon dont un personnage ressent cette violence, nous laissant dans une sensation de mystère tout au long du film, et à la fin, un sentiment étrange de ne finalement peut-être pas tout savoir sur ces cinq soeurs. 

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Corentin Viault