Depuis plusieurs décennies, la mondialisation s’est imposée comme le paradigme dominant de l’économie mondiale. Elle a permis une expansion sans précédent des échanges et une accélération de la croissance, mais au prix de déséquilibres majeurs : accentuation des inégalités, perte de souveraineté des nations et aggravation des crises environnementales.
À l’opposé, le repli sur l’échelon national, incarné par la montée des protectionnismes, semble tout aussi insuffisant, car il ne peut répondre à la nature transnationale des grands défis contemporains, comme le changement climatique ou les pandémies. Dans ce contexte, Elinor Ostrom, économiste et politologue, propose une alternative innovante. Par son concept de gouvernance polycentrique, Ostrom invite à dépasser les approches binaires du global et du national pour explorer la pertinence d’un échelon intermédiaire : le régional. Ce modèle, qui valorise la coordination entre acteurs à une échelle adaptée, sera exploré ici à travers une problématisation simple : l’échelon régional peut-il résoudre les défaillances de la mondialisation tout en contournant les limites du nationalisme ?
Le mécanisme de la gouvernance polycentrique
Elinor Ostrom, dans son ouvrage Governing the Commons (1990), part d’un constat fondamental : les problèmes complexes, comme la gestion des ressources communes, échappent aux solutions uniformes. Les institutions globales, bien qu’ambitieuses, se révèlent souvent inefficaces en raison de leur éloignement des réalités locales. En revanche, les approches strictement nationales échouent à appréhender l’interdépendance croissante des systèmes économiques et écologiques. Pour Ostrom, la solution réside dans une approche polycentrique, où plusieurs centres de décision autonomes – locaux, régionaux et nationaux – interagissent et collaborent pour maximiser l’efficacité de la gouvernance.
Le raisonnement d’Ostrom repose sur l’idée que chaque niveau de gouvernance possède des avantages spécifiques. L’échelon régional, en particulier, se distingue par sa capacité à intégrer les bénéfices de la coopération tout en conservant une proximité suffisante pour garantir une action efficace et adaptée. En d’autres termes, il combine la réactivité du local avec les économies d’échelle du global.
Prenons une réflexion théorique pour modéliser cette approche. Supposons que les bénéfices (B) et les coûts (C) d’un système économique dépendent de son échelle (L), laquelle varie du local au global en passant par le régional. On peut alors formuler une fonction simple :
B(L) = aL − bL2, C(L) = cL + dL2
Où :
- a représente les gains potentiels par la coopération,
- b traduit les rendements décroissants de cette coopération,
- c correspond aux coûts fixes d’administration,
- d reflète les externalités négatives croissantes (par exemple, pollution).
Dans ce modèle, l’échelon optimal L∗ est atteint lorsque la différence B(L)−C(L) est maximisée. Ce point, selon les hypothèses d’Ostrom, se situe souvent au niveau régional, où la balance entre les bénéfices de coordination et les coûts d’externalité est la plus favorable.
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Citation punchy
“Les solutions globales universelles ne sont pas viables dans un monde caractérisé par une diversité de problèmes locaux. Une gouvernance polycentrique, enracinée dans les contextes régionaux, est la clé pour préserver nos ressources communes.” (Ostrom – Governing the Commons (1990), Chapitre 2).
La transition énergétique européenne
Pour illustrer la pertinence de la pensée d’Ostrom, examinons le cas de la transition énergétique européenne. L’Union européenne (UE) incarne une gouvernance régionale qui s’efforce de concilier souveraineté des États membres et coordination transnationale. Ce modèle polycentrique se révèle particulièrement efficace dans le domaine de l’énergie.
D’un côté, la mondialisation a conduit à une dépendance énergétique excessive vis-à-vis de pays tiers, notamment pour les énergies fossiles. Cette dépendance, associée aux fluctuations des prix mondiaux, fragilise les économies européennes. D’un autre côté, une approche strictement nationale, où chaque État chercherait à produire sa propre énergie, entraînerait des inefficacités majeures et une incapacité à répondre aux enjeux climatiques globaux. En 2021, par exemple, l’Allemagne a exporté 16 % de sa production éolienne vers des pays voisins, renforçant ainsi leur indépendance énergétique. Parallèlement, le marché européen du carbone a permis une réduction des émissions industrielles de 43 % entre 2005 et 2022, prouvant l’efficacité d’une action régionale concertée.
Enfin, des investissements régionaux massifs, comme les 95 milliards d’euros alloués par le programme Horizon Europe à l’innovation énergétique (2021-2027), montrent comment l’échelon régional peut mutualiser les ressources pour développer des solutions technologiques qui bénéficient à tous les membres.
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