L’heure des concours approche. C’est pourquoi nous t’enjoignons à profiter de cette période pour débuter ton travail sur les oeuvres qui pourraient t’aider pour l’épreuve de culture générale. Pour rappel, le thème de l’année 2024-2025 est « l’image ».
S’interroger sur l’image, c’est aussi s’interroger sur ce qu’elle dit de nous, humains, et des codes sociaux qu’elle transmet. À ce titre, une artiste est tout particulièrement intéressante à étudier : Cindy Sherman.
Cette artiste est une photographe née en 1954 aux États-Unis. Elle est connue pour son exploration radicale des rôles et des identités féminines à travers l’image. Elle a notamment marqué l’histoire de l’art contemporain avec sa série Untitled Film Still (1977-1980), composée de 69 photographies en noir et blanc, où elle se met en scène en incarnant différents archétypes de la féminité. Son travail soulève des interrogations profondes sur la manière dont les images façonnent et véhiculent des idées sur l’identité, notamment à travers le prisme du cinéma et de la photographie. L’objectif de cet article est d’explorer comment la mise en scène photographique dans Untitled Film Still permet à Cindy Sherman de déconstruire l’image, tout en interrogeant la construction de l’identité et les mécanismes de représentation dans les médias.
La photographie comme mise en scène des archétypes
Les Untitled Film Stills s’inscrivent dans un dialogue complexe avec le cinéma, notamment les photographies de plateau issues des films classiques des années 1950 et 1960. Ces film stills, traditionnellement utilisées pour promouvoir les films, montrent des moments figés et dramatiques du film, souvent mettant en lumière les personnages féminins dans des scènes clés.
Sherman s’approprie ces images en recréant des scènes fictives, où elle se place dans des situations ou des contextes narratifs inspirés des films noirs, du suspense ou de la romance.
Ce qui est frappant dans son travail, c’est qu’elle joue sur l’ambiguïté de l’image : bien que ses photographies rappellent des scènes issues de films bien connus, elles ne se réfèrent à aucun film spécifique. L’image devient alors une construction visuelle à la fois familière et étrange, où le spectateur est confronté à une réalité fictive.
L’image devient ainsi un terrain où le spectateur est invité à réfléchir sur sa propre capacité à interpréter et à reconnaitre des codes visuels, tout en se rendant compte que ces codes sont eux-mêmes manipulés.
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La déconstruction des archétypes et de la "féminité"
Sherman, en incarnant ces archétypes féminins traditionnels, remet en question la manière dont l’image de la femme a été construite et diffusée dans les médias, en particulier dans le cinéma. Chaque photographie de la série présente une femme seule, capturée dans un moment de vulnérabilité, d’indécision ou de contemplation, des traits typiques du “male gaze” qui façonne l’imaginaire collectif autour de la féminité.
Cependant, en se réappropriant ces archétypes, Sherman invite à une relecture de ces images, questionnant la manière dont elles ont été historiquement utilisées pour façonner les attentes et les rôles de genre.
En se mettant en scène dans ces rôles, elle devient à la fois sujet et objet de l’image, ce qui trouble la distinction entre l’actrice qui joue un rôle et la personne réelle derrière la photographie. L’image se transforme ainsi en un espace de réflexion sur l’authenticité et la construction de l’identité, où la notion d’une « identité stable » est remise en cause.
Cindy Sherman – Untitled Film Stills #10, 1978
L’image comme réflexion de l'identité fragmentée
À travers ses Untitled Film Still, Cindy Sherman se place dans un entre-deux, ni totalement portrait ni totalement autoportrait. Elle joue des rôles, endossant des identités variées qui, selon elle, ne sont pas des représentations fidèles de son propre “moi”, mais des constructions imaginaires de ce que la société perçoit comme féminin.
Le protocole qu’elle utilise, où elle est à la fois photographe, modèle, maquilleuse et costumière, déconstruit l’idée d’une identité unifiée et stable. Chaque image est une représentation différente d’elle-même, une fiction construite à travers le médium photographique. Par ce processus, Sherman brouille les frontières entre le “soi” et l’image, entre la représentation d’une identité et l’identité elle-même.
L’image devient un moyen de questionner le “moi” comme une construction aussi illusoire que les personnages qu’elle incarne.
Sherman ne cherche pas à faire un autoportrait traditionnel, mais plutôt à explorer l’idée même de l’identité à travers une série de rôles. Par cette fragmentation de soi dans les différentes photographies, elle interroge la notion d’identité comme étant malléable, performée, et façonnée par l’image elle-même. L’image, dans ce cas, n’est pas un reflet de la réalité, mais une construction d’une réalité fictive où l’identité est construite par la mise en scène, le maquillage, le costume et la lumière.
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La puissance des images dans la construction des normes sociales
Les photographies de Cindy Sherman sont aussi un moyen de réfléchir à la manière dont les images façonnent nos perceptions et nos comportements sociaux.
En recréant des archétypes féminins populaires, Sherman met en lumière la manière dont ces images, véhiculées par le cinéma et la photographie, influencent la perception de la féminité dans la culture populaire. Mais elle ne se contente pas de reproduire ces images : en les déconstruisant, elle nous pousse à réfléchir sur le rôle de l’image dans la construction des normes sociales.
L’image devient ainsi un outil de réflexion sur la manière dont les rôles de genre sont façonnés et diffusés par les médias. En reproduisant des stéréotypes et des images familières tout en les modifiant légèrement, Sherman nous rappelle que ce que nous percevons comme “réel” est en fait une construction médiatique, une illusion façonnée par la culture visuelle. Ces images sont à la fois des objets de désir et de critique, car elles interrogent les mécanismes de représentation qui sous-tendent notre société.
Cindy Sherman – Untitled Film Stills #50, 1979
Conclusion
En conclusion, à travers les Untitled Film Still, Cindy Sherman offre une réflexion profonde sur l’image, l’identité et la manière dont les normes de genre sont véhiculées à travers les médias. En se mettant en scène dans des rôles qui interrogent la féminité et en manipulant les codes visuels du cinéma, elle montre que l’identité, comme l’image, est une construction, une mise en scène plutôt qu’une réalité figée. Son travail invite à une réflexion sur la manière dont nous percevons et consommons les images, et sur le pouvoir qu’elles ont dans la formation de notre compréhension de soi et des autres.