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Mettre le commerce au service du changement climatique (1/2)

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Le sixième rapport du GIEC, publié en 2022, a conclu que le changement climatique se produit plus rapidement que prévu. Par conséquent, toutes les politiques publiques doivent être repensées en fonction de leur impact sur le climat, et doivent également être mobilisées pour soutenir l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Dans ce contexte, que faut-il faire en matière de commerce et de politique commerciale ? Le commerce international déconnecte le lieu de production du lieu de consommation, de sorte que l’impact sur le climat est lié à la distance parcourue, mais aussi aux différentes normes des techniques de production à longue distance, ce qui nous amène à nous interroger sur le lien entre commerce et changement climatique.
On peut donc raisonnablement se poser la question de l’arrêt du commerce et de son impact sur l’environnement et l’économie. Dans cette première partie, nous allons dresser un constat de ce problème tandis que dans notre deuxième partie nous apporterons des solutions à ce problème.

 

Les émissions importées, un problème croissant ?

En France, les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national ont diminué entre 1990 et 2016. Mais les biens et services consommés en France génèrent de plus en plus de gaz à effet de serre car entre un tiers et la moitié des émissions liées à la production de ces biens et services ont lieu hors de France. En d’autres termes, s’arrêter sur les émissions des sols nationaux est trompeur. Pour appréhender équitablement l’impact de la consommation française, il faut considérer l’empreinte carbone, qui comptabilise l’ensemble des émissions nécessaires à la satisfaction de la consommation française. Cette empreinte nous indique qu’en 2019, la France a importé 294 millions de tonnes de dioxyde de carbone. En plus de ces importations, 196 millions de tonnes d’émissions sont produites en France pour les biens consommés en France, et 115 millions de tonnes sont émises par les transports et le chauffage. Ainsi, près de la moitié des émissions liées à la consommation des Français sont émises ailleurs. On comprend donc que cette question des émissions importées n’est pas marginale et nécessite qu’on s’y arrête. C’est encore plus vrai si l’on regarde l’évolution de l’empreinte carbone dans le temps : depuis 2005, les émissions liées au chauffage et aux transports ont diminué de 25 %, tandis que les émissions des importations ont augmenté de 3 %. De ce fait, la France importe beaucoup d’émissions, elle importe de plus en plus, alors que ses émissions de production pour la consommation interne diminuent.
En bref, grâce au commerce, les gaz à effet de serre émis sur le territoire national sont remplacés par des gaz à effet de serre émis par le reste du monde.

Pour autant, où qu’elle soit émise, une tonne de dioxyde de carbone se retrouve dans l’atmosphère et provoque le réchauffement climatique, donc peu importe que ce soit en France ou ailleurs. Mais en réalité, c’est plus compliqué que ça car la France a mis en place une politique climatique ambitieuse au sein de l’UE. Elle impose des normes à ses producteurs, certains industriels et énergéticiens doivent acheter des droits à polluer pour chaque tonne de gaz à effet de serre qu’ils émettent, et ses citoyens ne peuvent circuler librement à leur guise si leurs véhicules polluent beaucoup… Bref, ça demande des efforts et ça a un prix. Plus ce coût est élevé, plus l’incitation à produire dans des pays sans politique climatique hors France et UE est forte. En conséquence, la politique climatique devient coûteuse et inefficace.

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Les impacts du commerce sur le changement climatique: nombreux et complexes

 

Au-delà des émissions importées, le commerce a d’autres impacts négatifs sur le changement climatique : les transports internationaux émettent des gaz à effet de serre.

Commençons par les impacts les plus communs auxquels nous pensons souvent en premier : qui dit commerce dit transport, et qui dit transport dit émissions de gaz à effet de serre. Le fret international représente 7 % des émissions mondiales de CO2. En 2010, cela signifiait 2,1 milliards de tonnes, soit l’équivalent de sept mois d’émissions de l’UE. Ces chiffres datent de plus d’une décennie, mais ils se concentrent spécifiquement sur le fret international, qui est un facteur clé dans notre réflexion. En bref, le secteur des transports internationaux est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre. C’est également l’une des industries qui devrait connaître la plus forte augmentation des émissions au cours des prochaines années. Paradoxalement, ces émissions ne sont pas (ou rarement) réglementées de sorte qu’elles ne sont pas couvertes par les engagements de l’Accord de Paris, alors même qu’il existe déjà des technologies pour les réduire.
Cependant, les émissions de GES par tonne de fret transporté semblent être faibles, en particulier pour le transport maritime, le principal mode de transport international : les émissions du transport d’une tonne de fret sur de longues distances sur de grands porte-conteneurs ont été estimées à 10,2 grammes de dioxyde de carbone équivalent par kilomètre parcouru, tandis que ce chiffre atteint 94 grammes pour les poids lourds conteneurs et 537 grammes pour les cargos ! Ainsi, manger de la laitue cultivée localement, mais dans une serre chauffée, produit plus d’émissions que manger de la laitue cultivée en plein air, comme en Espagne, puis importée. Il faut également noter que souvent, les émissions liées au « dernier kilomètre », celles de la dernière étape logistique, sont celles qui alourdissent le plus le bilan carbone des produits. Par exemple, une camionnette de livraison, émet entre 1,1 à 1,9 kilogramme d’équivalent dioxyde de carbone pour chaque kilomètre de tonne parcouru.

Depuis les années 1990, il est d’usage de diviser l’impact indirect du commerce sur l’environnement en trois composantes. Premièrement, le commerce a des économies d’échelle. À mesure que les échanges augmentent, le niveau global de production et de consommation augmente, tout comme le niveau de pollution. Cela dit, il pourrait y avoir une force de reprise car, en moyenne, les revenus devraient augmenter en raison de l’augmentation des échanges. Cependant, à mesure que les revenus augmentent, le besoin de politiques environnementales ambitieuses tend à se faire plus fort. Deuxièmement, le commerce a un effet de composition car il conduit les économies à se spécialiser en fonction de leurs avantages comparatifs. Si ces bénéfices sont dans le secteur polluant, l’impact sur l’environnement sera négatif. A l’inverse, si les bénéfices sont dans des secteurs peu polluants, l’impact sera positif. Troisièmement, le commerce a un effet technologique en facilitant la diffusion des technologies de production. Par conséquent, il rend disponible la technologie la moins polluante en dehors de son pays en développement. Un quatrième effet s’ajoute aux trois premiers : le commerce est le canal par lequel se produit ce que l’on appelle la fuite de carbone.
Pour comprendre cela, prenons l’exemple de l’Union européenne. Pour limiter la consommation d’énergies fossiles, certains producteurs européens doivent acheter des droits d’émission. Cela renchérit leur production et peut les inciter à la délocaliser vers des pays aux politiques climatiques moins restrictives, quitte à importer des biens produits à l’étranger. Dans ce cas, l’émission sera également transférée à l’étranger. Ces changements de production entraînent ce que l’on appelle des fuites directes. Si la production étrangère produit autant d’émissions que l’Europe, alors le problème est que le transport entre les producteurs étrangers et les consommateurs européens peut générer plus d’émissions que le transport entre les producteurs européens et le même consommateur. En général, l’intensité des émissions des producteurs non européens est supérieure à celle des industriels européens. A ces fuites directes s’ajoutent les fuites indirectes.

Restreindre la consommation d’énergies fossiles par le biais de quotas de carbone et d’autres politiques climatiques européennes aura également tendance à faire baisser le prix international de ces sources d’énergie, encourageant ainsi les pays sans restriction climatiques à en consommer davantage. En 2017, l’accent d’une note du Comité d’analyse économique soutenait l’utilisation de différents types de modèles afin de savoir s’il fallait mettre en place des barrières commerciales pour limiter le fait que le commerce est une source d’émissions les émissions mondiales ? La théorie économique dit non, car pour résoudre les problèmes environnementaux, il est plus efficace d’utiliser la politique environnementale, et l’effet de la politique commerciale sur le climat n’est qu’indirect. Leurs travaux montrent que cela réduirait les émissions mondiales de 3,5 % d’ici 2030, pour un coût de 1,8 % pour le produit intérieur brut, par rapport à un scénario tendanciel sans aucune politique climatique. Ils ont comparé ces effets avec l’application des engagements pris par tous les signataires dans le cadre de l’Accord de Paris : dans ce scénario, les émissions mondiales diminueraient de 27 % et le PIB de 1,2 %. Cet exercice est toujours sujet à des hypothèses discutables, des données imparfaites… mais l’ordre de grandeur parle de lui-même, la différence entre les deux cas dépasse la marge d’erreur du modèle.

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Pour conclure, les auteurs expliquent donc que l’efficacité de la politique climatique vient du fait qu’elle permet de mobiliser toutes les sources de réduction des émissions et pas seulement celles liées au commerce international. Dit autrement, rapatrier la production sur le sol national n’est pas aussi efficace qu’imposer une politique de réduction des émissions aux producteurs nationaux. Ceci dit, il faut tout de même compléter cette approche par des considérations d’économie politique : appliquer une politique climatique ambitieuse uniquement sur le sol national a des effets sur la compétitivité des entreprises qui sont difficilement acceptables économiquement et politiquement.

 

Cet article est une synthèse du chapitre 5 (Quelle gouvernance d’entreprises pour la transition énergétique et écologique ?) de l’Economie mondiale 2023 CEPII. Il a été écrit par Cécilia Bellora.

 

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Damien Copitet
Je suis étudiant à SKEMA BS après deux années de classe préparatoire au lycée Gaston Berger (Lille). Nous nous retrouvons toutes les semaines pour l'actualité en bref