Dans une tribune du 27 juillet 2023 intitulée « La productivité ne se résume pas à l’innovation technologique » publiée dans l’édito Les Echos, le célèbre économiste turque, Dani Rodrik a pris la parole sur la productivité découlant de l’innovation technologique et les bénéfices du progrès technique.
La productivité est synonyme de prospérité pour beaucoup d’économistes
Dani Rodrik commence par rappeler la définition de la productivité, c’est-à-dire produire davantage avec moins de ressources. Or, depuis la première révolution industrielle, la productivité a augmenté grâce à l’innovation à tel point qu’aux yeux de l’opinion publique « l’innovation est devenue synonyme de hausse de productivité au même titre que le progrès technique et la R&D. »
L’économiste souhaite cependant distinguer entreprise productive et société productive. En effet, les gains de productivité réalisés par une entreprise peuvent ne pas se traduire par une amélioration pour un pays entier, voire devenir contre-productive à l’échelle de ce dernier. « Une entreprise peut se permettre d’augmenter la productivité issue des seules ressources qu’elle choisit d’employer, par contre une société doit augmenter la productivité de tous ses membres. »
Pour l’auteur, « beaucoup d’économistes confondent ces deux types de productivité, car ils supposent que le progrès technique va finalement être bénéfique à tous, même si les avantages immédiats ne bénéficient qu’à un petit nombre d’entrepreneurs et d’investisseurs ». Un exemple historique de cette dynamique est la révolution industrielle, qui a engendré une période de croissance économique, mais dont les avantages ont mis du temps à se répercuter sur les travailleurs ordinaires. Cette période a été marquée par des inégalités croissantes entre les classes sociales, où un petit nombre d’entrepreneurs et d’investisseurs ont tiré profit des innovations technologiques, tandis que la majorité des travailleurs ont continué à lutter pour des conditions de vie décentes.
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L’innovation ne bénéficie en général qu’à des groupes spécifiques pour Dani Rodrik
L’auteur dénonce le progrès technique et l’innovation en expliquant qu’ils ne bénéficient qu’à des groupes spécifiques, et par exemple des travailleurs très qualifiés ou des cadres. Pour cela, Dani Rodrik s’appuie sur l’un des paradoxes de l’hypermondialisation. Dans les années 1990, de nombreuses entreprises localisées dans les pays à revenu faible et intermédiaire ont connu une augmentation de leur productivité grâce à la baisse des prix de nombreux produits et à la mondialisation de la production manufacturière. Cependant, la productivité des pays qui ont accueilli ces entreprises a souvent stagné, voire diminué.
Le Mexique est un cas intéressant, car il a été l’un des principaux bénéficiaires de l’hypermondialisation. Malgré la libéralisation économique des années 1980 et l’accord de libre-échange nord-américain dans les années 1990, le pays a connu un l’essor des exportations manufacturières et des investissements directs étrangers. « Pourtant, le résultat a été un échec retentissant là où cela comptait vraiment. » souligne l’auteur.
Premièrement, les entreprises manufacturières ont réduit leur personnel, ce qui a entraîné une baisse de la productivité globale de l’économie. Dani Rodrik poursuit en expliquant au sujet du Mexique que, « dominé par de petites entreprises informelles, le reste de l’économie est devenu de moins en moins productif. En fin de compte, les gains de productivité du secteur manufacturier à vocation mondiale (dont la taille diminuait) n’ont pas compensé les piètres performances d’autres secteurs, essentiellement celui des services informels. » Une autre explication réside dans la nature même de la technologie manufacturière utilisée. L’intégration dans les chaînes de valeur mondiales requiert des compétences et des capitaux importants, ce qui crée des coûts élevés pour les pays moins bien dotés, « ce qui empêche leurs entreprises de se développer et d’embaucher ». Les travailleurs des zones rurales qui se dirigent vers les villes finissent souvent par rejoindre des secteurs peu productifs, tels que le petit commerce ou les services dont la productivité est faible.
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Les politiques de stimulation de la productivité peuvent donc manquer leur but
« Qu’il s’agisse de l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales, de subventions en faveur de la R&D ou de crédits d’impôt en faveur des investisseurs », ces politiques de stimulation de la productivité peuvent ne pas cibler le véritable problème. En réalité, « la difficulté n’est pas le manque d’innovation dans les entreprises les plus avancées, mais l’écart important de productivité entre elles et les autres. Il peut être plus efficace de soutenir les petites entreprises de services plus ou moins en difficulté (en répondant à leurs besoins en formation, en leur fournissant des intrants publics et les services dont elles ont besoin) que d’aider celles qui réussissent. »
L’avènement de l’intelligence artificielle suscite de grands espoirs quant à une hausse significative de la productivité. Cependant, son impact dépendra de son adoption généralisée à travers toute l’économie. Si certains secteurs importants, tels que la construction, les services d’aide à la personne et les tâches créatives, ne bénéficient pas de l’IA, les gains de productivité pourraient être limités et des inégalités pourraient persister.
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Pour conclure, à travers cette tribune, Dani Rodrik a souhaité partager son idée que les gains de productivité ne reposent pas exclusivement sur les avancées techniques. La technologie peut s’avérer nécessaire pour que les gains de productivité bénéficient à toute la société, mais elle n’y suffit pas. Transformer une avancée technique en gain de productivité à grande échelle exige une politique inclusive destinée à faciliter sa diffusion à travers l’économie et à éviter le « dualisme productiviste ».