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Égypte/Éthiopie : une guerre de l’eau ?

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Le Grand barrage de la Renaissance se situe en Éthiopie, à la frontière avec le Soudan. Ce projet colossal, lancé en 2013, est considéré comme étant le barrage le plus important au monde. Il se trouve sur les eaux du Nil bleu qui prend sa source en Éthiopie et qui rejoint le Nil blanc à Khartoum, capitale soudanaise, pour former le Nil. Ce dernier remonte jusqu’à l’Égypte pour se jeter dans la Mer Méditerranée.

Le Nil est l’un des fleuves les plus connus au monde, à la fois pour son importance historique mais aussi car il permet le développement des pays qu’il traverse. Un fleuve peut être utilisé pour l’irrigation et l’agriculture, l’approvisionnement en eau potable et la production d’énergie hydroélectrique. Mais construire un barrage impacte le débit de l’eau. De l’utilisation des eaux du Nil naissent des tensions géopolitiques, notamment entre l’Égypte et l’Éthiopie. L’expression “guerre de l’eau” est alors souvent utilisée pour qualifier ces conflits.

Dans cet article, l’objectif sera de comprendre la situation actuelle en Afrique de l’Est autour de trois pays traversés par le Nil : l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte (dans l’ordre de traversée). Nous verrons que l’utilisation et le contrôle de l’eau sont des objectifs cruciaux, qui sont défendus par des argumentations pouvant être contradictoires. Dès lors, nous nous demandons si nous avons bel et bien affaire à une guerre de l’eau.

Les priorités de l’Éthiopie

L’Éthiopie est un pays enclavé en Afrique orientale qui a perdu sa façade maritime en Mer Rouge après l’indépendance de l’Érythrée en 1993. Ce pays est caractérisé par des hautes montagnes et des bassins fluviaux. Les Éthiopiens n’ont certes plus accès à la mer mais ils ont su profiter de leur géographie. Le pays possède alors un bel avantage par rapport à ses voisins. Regorgeant de fleuves africains prenant leur source sur son territoire, l’Éthiopie peut mettre en place un contrôle de ces sources et du débit des fleuves. C’est un atout que redoute l’Égypte, complètement dépendante des volontés d’Addis-Abeba quant au débit du fleuve.

L’objectif éthiopien est de développer l’agriculture irriguée et le potentiel hydroélectrique afin de fournir de l’électricité à sa population et à ses voisins. Étant un pays jeune et dynamique, l’Éthiopie compte bien utiliser ses atouts géographiques pour participer à son développement. Mais outre les besoins d’eau et d’électricité, ce barrage est également un symbole éthiopien de fierté nationale. Souffrant de nombreux conflits internes, l’Éthiopie se sert de ce barrage pour montrer sa puissance et son indépendance en Afrique de l’Est.

 

Lire plus : L’instabilité éthiopienne : des conflits internes faisant intervenir de multiples belligérants

 

Les inquiétudes de l’Égypte

Les besoins en eau de l’Égypte ne sont pas négligeables. La civilisation égyptienne s’est développée autour du Nil, d’où l’importance concentration de sa population le long du fleuve et autour de son delta. Les terres égyptiennes sont arides mais les eaux du Nil fertilisent les sols et garantissent l’abondance. C’est grâce au Nil que l’Égypte a pu s’assurer une sécurité alimentaire et une agriculture efficace. De plus, le fleuve lui permet de se fournir en eau pour l’industrie et l’approvisionnement en eau potable.

L’Égypte subit pourtant le contrôle des eaux du Nil par ses voisins éthiopiens puis soudanais. Le Caire se retrouve alors dans une situation de dépendance face à Addis-Abeba et Khartoum, qui n’entendent pas les plaintes et justifications égyptiennes. D’autant plus que le Soudan possède une situation ambivalente car il pourrait bénéficier de l’apport énergétique du Grand Barrage de la Renaissance, à quelques kilomètres seulement de sa frontière.

Deux raisons amplifient les tensions entre l’Éthiopie et l’Égypte. D’abord, ce sont deux géants démographiques comptant respectivement 126 millions et 112 millions d’habitants (ce qui fait d’eux le 2e et le 3e pays les plus peuplés d’Afrique). Le réchauffement climatique a lui aussi son rôle à jouer dans les inquiétudes égyptiennes. L’augmentation des sécheresses ne fait qu’accroître la peur d’une possible perte d’accès à l’eau potable.

 

Les arguments mis en avant

L’Éthiopie défend sa souveraineté sur le Nil bleu qui se situe sur son territoire. Le fleuve prenant sa source dans le lac Tana dans les montagnes éthiopiennes, Addis-Abeba justifie alors l’utilisation des eaux du Nil pour les besoins énergétiques de sa population. La mise en place de barrages sur le Nil bleu est liée au besoin de développement du pays. Dans ce conflit, l’Éthiopie tire sa légitimité de sa géographie. Elle met également en avant le partage de l’énergie produite par ses barrages à ses pays voisins, dont le Soudan. D’après elle, ces barrages sont une opportunité pour les pays d’Afrique de l’Est.

Contrairement au Soudan, l’Égypte ne bénéficie en aucun cas des barrages éthiopiens, d’où les reproches faits à l’État éthiopien. Les Égyptiens voient le Nil comme une nécessité à leur survie, autant pour l’agriculture que pour l’accès à l’eau potable. Le Caire met également en avant des arguments historiques. Elle se base sur un accord colonial de 1929 qui lui garantit un quota annuel d’eau du Nil. Elle affirme aussi sa légitimité sur le Nil du fait de la naissance de sa civilisation autour du fleuve. Les Égyptiens se sont depuis toujours développés autour et grâce au Nil.

 

Vers une guerre de l’eau ?

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas dire que le conflit entre l’Éthiopie et l’Égypte est une guerre de l’eau. Pour le moment, aucune action militaire n’a été entreprise par Le Caire contre cet affront éthiopien. Les tensions demeurent géopolitiques ce qui n’exclut pas une militarisation du conflit. Le risque d’embrasement de la région du bassin du Nil reste grand. Cependant, il ne faut pas oublier les différentes menaces proférées par Le Caire contre ces projets éthiopiens. En réponse, Addis-Abeba menace de considérer toute action militaire égyptienne contre le barrage comme un acte de guerre.

Il n’est pas rare de faire face à des conflits liés à des fleuves dont le débit est contrôlé par le pays dans lequel ils prennent leur source. Face à de telles tensions, une réponse diplomatique régionale est nécessaire pour les atténuer.

 

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Alban Dantin
Actuellement en master à Sciences Po Bordeaux, j'ai d'abord fait deux ans de classe prépa littéraire A/L à Saint-Sernin (Toulouse).