La loi d'amnistie de 1977: Une loi d'amnésie?
Deux ans après la mort de Franco, le 14 octobre 1977, la loi d’amnistie est votée. L’objectif était clair, il s’agissait d’« oublier » pour avancer comme l’évoque si bien l’autre appellation de cette loi : « le pacte de l’oubli ». Mais à quel prix ? Dans ce processus, cette loi amnistie tous ceux qui furent victimes de la répression franquiste mais pas que… Elle permet, en effet, d’amnistier les responsables de cette même répression.
Si dans une Espagne déchirée par la dictature et la guerre civile la mise en place d’un régime démocratique est vue comme la voie à suivre, les fondements de cette voie reposent sur une amnistie totale afin de parvenir à réconciliation nationale. Fallait-il « oublier » pour assurer un avenir ? Cette réconciliation nationale est-elle fondée sur une base stable et pérenne ?
Le contexte de la transition démocratique
Franco meurt le 20 novembre 1975. Comme l’avait planifié le dictateur, la monarchie est restaurée avec comme roi d’Espagne : Juan Carlos I. Cependant, le nouveau roi l’Espagne met en place un processus de transition démocratique à partir de 1976 avec son nouveau premier ministre : Adolfo Suárez, un franquiste modéré convaincu de la nécessité d’un changement démocratique pour l’Espagne. Il fait adopter par la chambre des députés une loi de réforme politique pour abolir les institutions du franquisme. Le 14 octobre 1977, la loi d’amnistie est votée par la Chambre des députés (Las Cortes) suite au référendum de décembre 1976 où ce projet de loi a été approuvé à 96% par référendum .
L’Espagne présente un cas singulier de transition démocratique car elle se repose sur une loi d’amnistie. Cette loi incarne l’élément central dans le processus de transition démocratique. Les blessures du passé, les rancœurs et la fracture nationale se doivent d’être refermées et surpassées par l’amnistie.
Ce que propose cette loi
Cette loi s’adresse aussi bien aux réprimés du régime franquiste mais aussi aux répresseurs. Concernant les répresseurs, les crimes du franquisme restent impunis même s’il s’agit de crime contre l’humanité dit imprescriptibles (vols de bébés, tortures, disparition arbitraires, détentions forcées…). Ils sont alors prescriptibles c’est-à-dire que ces crimes ne peuvent être jugés. La loi d’amnistie empêche toutes condamnations des responsables de la dictature mais aussi accorde l’irresponsabilité juridique de tous ceux qui ont servi la dictature.
Concernant les réprimés, cette loi a permis l’amnistie de tous les prisonniers politiques du franquisme. Elle s’applique également pour toutes ces personnes jugées pour « les actes d’expression d’opinion » c’est-à-dire pour avoir critiqué le régime de Franco. D’une manière générale, cette loi permet d’amnistier tous les opposants au franquisme condamnés pour des faits antérieurs au 15 décembre 1976. En effaçant les peines politiques prononcées par la dictature et en empêchant le jugement des responsables des crimes du franquisme, cette loi symbolise la volonté d’une réconciliation nationale.
Comment expliquer cette singularité espagnole ?
Tout d’abord, le pacte de l’oubli fait partie dans un premier temps de la culture politique et des mentalités espagnoles. En 2001, vingt-quatre années après cette loi, Felipe González (ancien président socialiste du gouvernement espagnol) disait : « Nous avons décidé de ne pas parler du passé. Si c’était à refaire, (…) je le referais ». Au début, le rejet de la dictature et de la violation des droits de l’homme ne s’est pas inscrit comme une évidence dans la culture politique espagnole mais uniquement progressivement dans le temps. Parmi tous les pays hispanophones touchés par une situation similaire, seule l’Espagne a choisi l’amnistie pour reconstruire son système politique et l’unité de la nation. Ceci s’explique car dans cette Espagne de la fin des années 70, la priorité était la construction de la démocratie et non l’ouverture des blessures de la guerre civile et du régime de Franco. C’est donc aussi la crainte d’un nouveau conflit qui explique ce pacte de l’oubli et l’adhésion des espagnols à ce dernier. Ainsi, personne ou presque ne parle de créer une Commission de la vérité sur les milliers d’assassinats et violations des droits de l’homme pratiqués. Ce retour à la démocratie apparaît donc singulier, là où, en Amérique Latine, les pays touchés par cette situation ont pris une tout autre tournure (jugements des crimes, musées sur ces tristes périodes, Commissions de la vérité…).
Aussi controversée qu’elle soit, cette loi a permis des avancées concrètes. L’année 1977 est l’année de la légalisation de tous les partis y compris le Parti communiste et la célébration en juin 1977 des premières élections libres depuis 1936 pour choisir une chambre des députés dont la mission est la rédaction d’une constitution démocratique. Dès 1977, des actes symboliques et concrets ont lieu : retour de Guernica, changement de la toponymie… Cette stabilité mise en place par ce pacte de l’oubli va en fait créer une paix illusoire. Ce n’est qu’une question de temps pour que, progressivement naisse la nécessité pour les Espagnols d’avoir des réponses et de confronter ce passé douloureux