Pour bien monter sa rupture totale avec les économistes qui l’avaient précédé, Karl Marx dans Le capital a, le premier, qualifié ces auteurs de « classiques ». Ce sont essentiellement des économistes anglais et français du XVIIIe siècle et du XIXe siècle : Adam Smith, Thomas Malthus, David Ricardo, Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat. Ils marquent une période d’intense réflexion sur le fonctionnement de l’économie, alors que se développent rapidement la société industrielle et le capitalisme moderne.
Les « classiques » essayent de définir des « lois économiques universelles », valables à toutes les époques et partout. Ainsi, quelle est leur vision de la terre ?
Smith ruine la conception physiocratique de la rente
Dans La Richesse des Nations (1776), Adam Smith expose que la rente est la différence entre le prix de la récolte, d’une part, et, d’autre part, la somme des salaires et de profits qui doivent être payés pour obtenir cette récolte, étant donné les quantités de travail et de capital employées.
Smith indique que cette différence est payée au propriétaire parce que celui-ci donne sa terre en location au fermier le plus offrant. Comme il y a toujours des fermiers qui cherchent à louer de la terre et que la quantité́ de la terre est limitée, le propriétaire profite d’une situation de monopole.
Cette idée est d’une grande importance parce qu’elle ruine définitivement la doctrine physiocratique sur la productivité́ exclusive de la terre. La rente du sol n’est pas un don de la nature puisqu’elle tient essentiellement à la situation de monopole dans laquelle se trouvent les propriétaires fonciers. Bien entendu, cela implique que la rente foncière est un prélèvement sur la valeur créée par le travail.
Smith a noté́ également les oppositions d’intérêts au sein de la société́. A propos de la rente, il arrive à la conclusion que la valeur du prix du blé doit, si possible, rester stable, tandis que la valeur des biens industriels doit diminuer. Les salaires réels ne changeant pas, il conclut que les rentes augmentent avec le développement de la richesse nationale. Pour lui, l’intérêt des propriétaires et celui des salariés sont liés à l’intérêt général puisque leur revenu augmente en même temps que la richesse nationale, tandis que l’intérêt des industriels est opposé à cet intérêt général car les taux de profit diminuent quand la richesse augmente en raison de la concurrence. Pour Smith, l’État doit donc s’appuyer sur la classe des propriétaires fonciers.
La querelle entre Malthus et Ricardo met en jeu le problème de la défense du libéralisme économique
Le succès de l’ouvrage de Malthus, Essai sur le principe de la population (1798), fut considérable. On lit dans cette ouvrage la réfutation définitive des attaques contre la propriété́, c’est-à-dire avant tout une défense de la propriété́ des terres. Malthus est le grand défenseur des intérêts de la propriété́ foncière. Le sujet qui l’occupe est tout d’abord la hausse du prix du blé́ et pour expliquer cette hausse il fera appel à ce qu’on nommera après lui la « loi de la rente différentielle ». L’auteur fait une première explication de ce que nous appelons maintenant la fixation des prix sur la base du coût marginal car le prix du produit doit être égal au coût de production sur la terre de la moins bonne qualité́ effectivement utilisée.
Cette application est très importante car elle permet de justifier la thèse de Smith selon laquelle la rente foncière est un prélèvement sur le fruit du travail dû à la situation de monopole dans laquelle se trouve la propriétaire. Toutefois ces conclusions ne sont pas celles qui retiennent l’attention de Malthus car la théorie de la rente différentielle est destinée à justifier le pris élevé́ du blé́, quitte à diminuer les impôts qui pèsent sur l’agriculture et à protéger celle-ci de la concurrence étrangère. Ceci témoigne bien du désir de défendre ici les vues des propriétaires.
Ricardo dans Principe de l’économie politique (1817), adopte les vues de Malthus sur la rente mais en tire des conclusions opposées.
Si le progrès de la richesse tend à entrainer la hausse du prix du blé et l’augmentation des rentes, il faut, dira-t-il, contrecarrer cette tendance en laissant entrer les blés étrangers. Il est clair que Ricardo défend les intérêts, non des propriétaires fonciers mais des industriels qui souhaitent que le prix du blé diminue afin de pouvoir abaisser les salaires.
Ricardo est convaincu que si les salaires ne baissent pas, les profits seront eux-mêmes trop faible pour inciter les capitalistes à investir. La croissance cessera et à terme, toute l’économie tendra vers l’état stationnaire.
Marx et la rente foncière
Marx est appelé par certains auteurs le dernier des classiques.
En fait, cette dénomination n’est pas dénuée de tout fondement puisqu’il reprend, même s’il la modifie la théorie de la valeur de Ricardo. Mais, soucieux de faire une critique de l’économique politique, il ne peut être qu’un classique « hétérodoxe ».
Marx pense que le travail est la source unique de la valeur mais il tire des conclusions qui vont bien au delà de celles des anglais.
Les propriétaires fonciers obtiennent des revenus bien qu’ils ne travaillent pas. Smith et Ricardo l’admettent sauf que pour Marx aussi bien le profit que la rente foncière ne sont pas des éléments accidentels et appartiennent à l’essence même du capitalisme.
Pour Marx, la force de travail fournit davantage de travail qu’elle n’en coûte. La différence entre la quantité de travail fournie par la main-d’œuvre et la quantité de travail représentée par le coût demeure entre les mains des capitalistes. Il la nomme la plus-value.
Aussi le profit comme la rente foncière sont l’expression monétaire de cette plus-value. Capitalistes comme propriétaires fonciers cherchent constamment à augmenter leurs revenus en diminuant ceux des travailleurs, le prélèvement de la plus- value s’analyse comme une exploitation de la force de travail par le capital, quelque soit la forme de celui-ci.