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Peut-on mentir par humanité ? L’avis des philosophes

Sommaire

Qui n’a jamais menti ? La réponse à cette question nous montre bien la nécessité du mensonge. Il est une expérience universelle et pourtant, son existence est une contradiction même au principe moral d’honnêteté. Alors, est-on en droit de mentir pour une cause juste ? La fin justifie-t-elle les moyens en ce domaine ? Cet article dresse la vision de 2 philosophes qui se sont penchés sur la question.

 

Kant : D’un prétendu droit de mentir par humanité

Dans ce bref article, Kant réagit en fait aux réflexions de Benjamin Constant sur le mensonge. Pour le philosophe français, faire de la vérité un devoir moral absolu rendrait toute société impossible. En effet, d’après Constant, “un devoir est ce qui, dans un être, correspond au droit d’un autre. […]. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont un droit à la vérité.” Dit autrement, Constant juge que le droit relatif à la vérité conditionne notre honnêteté.

L’opposition de Kant

Kant va totalement réfuter cette pensée car elle ne s’accorde pas avec sa thèse d’une morale universelle. La vérité est un devoir formel de l’homme envers chaque homme, quelques soit la gravité du préjudice qui peut en découler. “Le mensonge nuit toujours à autrui”, il nuit au moins à l’humanité en général. Par ailleurs, en mentant, je fais en sorte que tous les droits fondés sur des contrats deviennent caducs. Le mensonge rend vaine la source du droit.

Les conséquences du mensonge

Pour illustrer sa thèse, Kant prend un exemple dans lequel un meurtrier nous demande si celui qu’il recherche est chez nous. C’est le cas, et d’après ce que nous venons d’exposer, nous sommes en devoir de lui dire la vérité. Or, celle-ci pourrait bien causer la  mort d’un individu. D’un autre côté, si je lui mens mais que mon hôte est sorti et tombe par la suite nez à nez avec le tueur, mon mensonge aura été responsable de sa perte. Ce mensonge bien intentionné peut, par accident, être passible d’une peine d’après les lois civiles. Pour résumer, si en mentant tu empêches un homme de commettre un meurtre, tu es juridiquement responsable de tout ce qui peut arriver. Ainsi, en s’en tenant à la stricte vérité, la justice ne peut rien retenir contre toi.

La vérité, un principe absolu

Dans le cas exposé précédemment, la vérité serait donc à l’origine d’une nuisance. Néanmoins, ce n’est que par accident que la véracité du propos nuit, ce n’est pas un acte libre dont nous serions responsable. Le dommage étant causé par accident, la véracité est un devoir inconditionné. Constant a confondu le danger de nuire (qui est accidentel) avec celui de causer du tort en général.

Une vision puriste et absolutiste

La vision de Kant est claire, il ne faut jamais mentir. Une telle pensée est conforme à la morale kantienne, une morale déontologique, dénuée de tout affect. Sa position est d’un purisme total. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle sera critiquée par Schopenhauer dans Le Fondement de la Morale (mais c’est une autre histoire). Dès lors, ne peut-on pas voir dans le mensonge une nécessité et lui accorder dans des cas exceptionnels une once de moralité ?

Lire plus : Nietzsche et la « Généalogie de la morale »

 

Jankélévitch : Les Vertus et l’Amour

Dans cet ouvrage, Jankélévitch s’intéresse au mensonge dans toutes ses dimensions. Il dresse une phénoménologie du mensonge en s’intéressant à la conscience de celui qui ment, à ses causes et ses effets sur la société. Pour éviter de faire trop long, on s’intéressera ainsi uniquement au jugement moral qu’il porte sur le mensonge. 

Le mensonge, un acte volontairement mauvais

Il convient d’abord d’observer la divergence entre Kant et Jankélévitch dans leur définition du mensonge. Kant considère que la vérité est extérieure à nous, l’homme ne considère que la véracité d’une chose. Pour Jankélévitch, le mensonge est plutôt une “assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l’intention de tromper.” Mentir, c’est dire le faux par habitude de malveillance. Jankélévitch incorpore la volonté trompeuse dans l’acte même de mentir. D’après lui, il n’y a de mensonges que volontairement. De ce fait, le mensonge est toujours négatif, il est un abus de confiance.

L’amour, l’exception faite au mensonge

Néanmoins, en plongeant dans la conscience menteuse, on s’aperçoit de sa souffrance. La plupart ne mentent pas par méchanceté, mais par soif d’amour. L’amour se pose alors comme une marque de vérité. Dès lors, la vérité sans amour est moins vrai qu’un mensonge par amour. La vision de Jankélévitch est celle d’un machiavélisme puriste : la fin ne justifie pas les moyens mais la pureté de la fin contribue à légitimer les moyens impurs. On se situe entre le machiavélisme et le purisme kantien.

Jugement moral sur le mensonge

En résumé, le mensonge est et demeure immoral. Il est une faute contre l’humanité car il rend caducs les promesses, les contrats, les pactes, la simple confiance mutuelle. Toutefois, le mensonge peut parfois servir le bien moral. Il est possible de mettre le mensonge au service de la vérité. Le mensonge ne doit être permis que lorsqu’il est le seul moyen de préserver une valeur précieuse. Ce qui le rend exceptionnellement légitime et excusable, c’est l’extrême difficulté des relations harmonieuses entre les hommes.

Le mensonge, un problème sans fin

Les philosophes sont nombreux à s’interroger sur la moralité de l’usage du mensonge. Pour Kant et St-Augustin, il n’y a aucune légitimité à mentir. Chez Schopenhauer, lequel situe la morale dans un acte de pitié, le mensonge est accepté comme moyen de légitime défense. Jankélévitch exerce un arbitrage selon la bassesse ou la grandeur de sa possibilité. Platon l’autorise uniquement pour le chef du gouvernement. Vous l’aurez compris, c’est à chacun d’examiner sa conscience et de forger sa propre opinion sur la nécessité du mensonge.

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Citations  

“Il n’y a pas de mensonge excusable.” Kant

“Ce qui nous force à mentir, c’est le sentiment de l’impossibilité chez les autres qu’ils comprennent notre action. Même le mensonge compliqué est plus simple que le vrai.” Valéry

“Malheur aux brutes qui disent toujours la vérité ! Malheur à ceux qui n’ont jamais menti !” Jankélévitch

“Le mensonge est la fuite intérieure, l’abandon de poste, l’opium du moindre effort. Le mensonge désigne […] la ligne de moindre résistance.” Jankélévitch

“En vérité le mentir est un maudit vice, nous ne sommes hommes et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole.” Montaigne

“Ce qui me bouleverse, ce n’est pas que tu m’aies menti, c’est que désormais, je ne pourrais plus te croire.” Nietzsche

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Gabin Bernard