Que la violence soit condamnable, c’est une chose. Mais pour qu’elle le soit, il faut se référer à une certaine idée de la justice, car la violence n’est pas par essence un mal qui empêche de faire société. Du moins, pas pour tous… Alors, qu’en est-il lorsque l’idée de justice est mise au défi avec l’idée de loi de la nature ? Dans le Gorgias de Platon, l’auteur met en scène un débat entre son maître, Socrate, et Calliclès d’Acharnes. Ce dernier semble éprouver de la sympathie pour la loi du plus fort. Penchons-nous donc sur ce passage très connu d’une des plus fameuses œuvres de Platon afin d’en tirer des éléments utiles à l’épreuve de culture générale de HEC.
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La violence pour les Grecs
Nous avons, aujourd’hui, davantage retenu les racines latines pour exprimer la violence (du latin violentia). Le mot « violence », selon le Gand Dictionnaire de la langue Française (Larousse, 1989), signifie le « caractère emporté, farouche, indomptable ».
Les Grecs de l’époque classique, eux, avaient le mot Bia (βία). Ce terme peut être confondu avec le violentia latin, mais il suppose aussi une idée de force vitale. Un lien sémantique existe d’ailleurs entre Bia et Bios(« vie »), que l’on retrouve aujourd’hui dans le terme « biologie ». Plus généralement, le terme grec de Bia peut être défini de la sorte : action ayant pour intention d’exercer une contrainte par la force. Et c’est ce terme que l’on retrouve dans le texte original, en grec ancien, et qu’utilise Calliclès.
Les faibles et les forts
Selon la thèse de Calliclès, il existe une loi naturelle qui reconnaît comme juste la domination du « fort » sur le « faible ». Le fort est celui qui a suffisamment de force ou de courage pour assouvir ses passions égoïstes, notamment celles qui concernent ses envies de pouvoir. De ce fait, l’emploi de la violence (βία), sous toutes ses formes (mensonge, guerre, soumission, etc.) peut se justifier par le fait qu’elle accomplit ce que prévoit la nature. Il prend notamment l’exemple de Xerxès et de son père, Darius, qui ont tout deux envahi la Scythie et qui n’ont pas invoqué la loi des hommes pour se mettre en campagne. En effet, ils ont bel et bien invoqué la loi de la nature, c’est-à-dire la loi du plus fort.
La loi des cités est contre-nature
En partant de cette idée, Calliclès affirme que l’égalité est un « sortilège » inventé par les faibles pour se protéger des forts. L’égalité est assurée par les lois des cités ainsi que par la morale. Selon Calliclès, donc, les faibles utilisent la loi positive pour réprimer les ambitions des forts, pour ne pas dérégler l’égalité entre les hommes. Toutefois, celui-ci voit ce système comme un acte contre-nature, car cela va à contre-courant de ce que la nature et les dieux ont prévu pour les hommes. Ainsi, l’homme est un être qui doit satisfaire ses passions ou se soumettre à celles d’un autre.
Le régime aristocratique comme modèle
Calliclès propose, de ce fait, un Etat aristocratique, où la société reconnaîtrait des faibles et des forts. Dans cette idée politique, la domination serait alors institutionnalisée et la violence que s’infligeraient les individus entre eux pourrait se légitimer au nom d’un ordre des choses. Son idée politique se rapproche, d’ailleurs, de celle de la tyrannie (Gouvernement absolu, oppressif et arbitraire). D’autre part, cette thèse rentre complètement en contradiction avec celle de Socrate, qui affirme que le pouvoir devrait revenir aux philosophes.
L’erreur de Calliclès
La principale erreur qui est à souligner chez Calliclès, c’est une confusion dans la méthode de sa critique. Il tente de retracer une généalogie de la loi des hommes en montrant que son origine n’est pas légitime, qu’elle est partiale, qu’elle est issue de « faibles » qui entendent tirer avantage du droit pour se protéger des « forts ».
Pour Calliclès le droit le plus légitime est donc celui qui est dicté par la nature, mais il confond le fait et le droit. En effet, la nature ne fait pas de droit à proprement parler ; elle ne fait qu’attester de ce qui est. En fait, la nature est faite de lois, mais ce sont des lois qui affirment « voilà ce qui est » et non pas « voilà ce qui doit être ». Par exemple, la loi de la gravitation universelle de Newton affirme un fait, une propriété, mais elle n’affirme pas ce qui doit être, contrairement à la loi sur la peine de mort, par exemple.
C’est pour cela que la loi de Newton ne se retrouvera jamais dans un texte de loi, car sa loi n’entre pas dans le cadre du juste ou de l’injuste. A l’inverse, le droit positif (les lois des hommes dans un temps et dans un espace donné) atteste de ce qui doit être, c’est-à-dire qu’il affirme des ordres et des interdictions qui doivent être appliqués et respectés.
De ce fait, mettre en opposition la loi de la cité avec la loi naturelle est insensé. En recourant à la nature pour décider des affaires des hommes, la thèse de Calliclès est mise hors-jeu dans le débat.
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