Voici dans cet article de Mister Prépa, l’analyse du sujet 1 ECRICOME 2024 en ESH pour les préparationnaires ECG. Il faut savoir que cette épreuve comporte de forts coefficients, dans toutes les écoles de la Banque ECRICOME, à savoir NEOMA, KEDGE BS, MBS, EM Strasbourg et RSB.
Dans cet article, vous retrouverez une proposition de plan détaillé et l’ensemble des connaissances requises pour traiter le sujet.
LES SUJETS D’ESH ECRICOME 2024
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L’analyse du sujet 1 d’ESH ECRICOME 2024
Le premier sujet d’économie des éditions 2024 est donc un sujet particulièrement intéressant puisqu’il traite d’un enjeu d’actualité : la consommation. Autant, le deuxième sujet était plutôt facilement situable dans le programme d’E.S.H. des deux années, autant celui-ci semble beaucoup plus vaste car il peut faire appel à des éléments appartenant aux 4 modules du programme.
En effet, il y a un lien avec l’histoire économique (les révolutions industrielles notamment), avec les transformations récentes de nos économies (tertiarisation, révolution numérique), avec les cycles économiques, avec la mondialisation (la consommation mondiale) mais aussi avec le rôle de l’État. Ainsi, les étudiants pouvaient rapidement se perdre sur un tel sujet qui paraît assez vaste.
Premier élément de cadrage du sujet : il ne fallait surtout pas comprendre le sujet comme la question suivante : Parmi tous les facteurs de croissance, la consommation est-elle le principal ? A cette question, les étudiants seraient tentés de faire une grande partie sur les autres facteurs principaux de la croissance depuis le 19ème siècle or une telle partie serait totalement hors-sujet.
Il fallait ainsi plutôt se demander si la consommation était un facteur de croissance remarqué dans l’histoire économique, si celle-ci était capable d’engendrer d’autres facteurs de croissance telle que l’innovation et enfin si celle-ci ne pouvait pas avoir des effets délétères sur la croissance économique. Paradoxalement, la consommation ne peut-elle pas être génératrice de crises économiques en contribuant à l’émergence de bulles spéculatives ?
Ce sujet était donc vaste et piégeur car il engendre une tentation au hors-sujet chez l’étudiant. Il ne fallait ainsi pas se perdre dans le sujet. La précision du cadre temporel incite le candidat à réellement ancrer sa réflexion dans la réalité historique. Ainsi, les théories ne servent ici qu’à expliquer l’histoire économique. Les arguments seulement théoriques et hors-sol seraient de ce point de vue assez maladroits. Nous allons donc maintenant analyser ce premier sujet ECRICOME : « La consommation, moteur de consommation depuis le 19ème siècle ».
- Accroche : Dans « La société de consommation » (1970), Jean Baudrillard parlait de théorie de la croissance pour la croissance. Plus globalement, il aborde dans ce livre le fait que la croissance économique est devenue une religion et que son principe fondateur est la consommation. Cette consommation demeure un marqueur social selon Baudrillard qui est à la base du processus de croissance économique. La société de la consommation est ici au service de la religion croissantiste.
- La consommation : Celle-ci désigne à la base l’achat d’un bien ou d’un service dans le but de satisfaire un désir ou un besoin. Elle est principalement effectuée par les ménages et les entreprises. Dans ce cadre, on considère en macroéconomie que la consommation est la partie du revenu non épargnée par les ménages (Y = C+S). Une entreprise consomme des ressources lorsque celles-ci sont voués à être détruites et transformées (consommation intermédiaire) sinon on parle d’investissement (toute référence au multiplicateur keynésien serait ainsi maladroite car il s’agit d’un multiplicateur d’investissement public). Attention à bien distinguer consommation et investissement. On peut ajouter à cette consommation, la consommation mondiale provenant des ménages d’autres pays. Une partie importante du sujet reposera aussi sur la consommation anticipée, via le célèbre concept keynésien de demande effective.
- La croissance économique : selon S. Kuznets, c’est la capacité d’un pays à proposer à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques. Cette capacité se fonde sur certaines institutions (droits de propriétés) et le progrès technique. Elle se mesure par la croissance du produit intérieur brut (P.I.B.) en volume entre deux dates (généralement n et n+1).
- Le moteur : Le moteur d’une voiture est ce qui permet de faire avancer la voiture ainsi si la consommation est le moteur de la croissance économique, cela veut dire que c’est grâce à la consommation que le PIB augmente. Le moteur est ici synonyme de facteur principal de croissance.
- Depuis le 19ème siècle : démarre en 1801 mais inclut tout de même la première révolution industrielle qui démarre à la fin du 18ème mais dispose de conséquences réelles sur la croissance au 19ème siècle.
Problématique : Peut-on dire que la consommation en tant qu’idéologie et action concrète est la source principale de croissance économique depuis la première Révolution industrielle ? N’est-elle pas à la base aussi de crises et de périodes de croissance plus atone ?
I – La consommation est un moteur de croissance économique certain depuis la première Révolution industrielle
A. La consommation anticipée comme moteur de la croissance économique depuis le 19ème siècle dans une perspective keynésienne :
La croissance économique est synonyme de croissance du produit intérieur brut. Cela veut donc dire que la croissance économique désigne l’augmentation des valeurs ajoutées des entreprises. La consommation peut d’abord avoir un rôle plutôt indirect dans ce processus. Pour s’en convaincre, il faut reprendre le concept keynésien de demande effective.
Chez J-M. Keynes, l’investissement des entreprises provient des variations anticipées de la consommation des ménages. Si les entreprises anticipent une demande forte de la part de ces derniers, ils vont investir massivement dans de nouveaux outils de production. C’est le principe de l’accélérateur de la demande d’Aftalion. Cet investissement va permettre d’accroître les gains de productivité de cette entreprise et d’accroître sa production pour un prix inchangé voire plus faible. Cela représente ainsi une augmentation de la valeur ajoutée. La consommation anticipée par les entreprises est donc un facteur important de croissance car elle provoque l’investissement des entreprises à l’origine de gains de productivité.
Dans son livre « Marie Curie habite dans le Morbihan » (2023), X. Jaravel montre que l’innovation qui est un facteur de croissance économique provient d’une incitation « taille du marché ». En résumé, plus un marché est grand (plus il y a de consommateurs), plus la rentabilité anticipée par l’entrepreneur est importante, plus il va tenter de s’imposer sur ce marché en innovant. Sans un grand nombre de passagers d’avion, il est impossible d’investir dans de nouveaux modèles plus éco-responsables car ce ne serait pas rentable.
Ainsi, on observe bien que chez X. Jaravel, la croissance économique tirée par l’innovation provient en fait de cette consommation anticipée. Ainsi la consommation est bien un moteur de croissance en cela qu’elle provoque l’investissement des entreprises et l’innovation qui demeure le facteur de croissance principale chez J. Schumpeter ou P. Aghion.
B. La consommation est aussi à la base d’un certain processus de croissance endogène
La consommation peut intervenir dans de nombreux secteurs différents, nous proposons ici de traiter spécifiquement de la consommation alimentaire. En effet, celle-ci peut paraître anecdotique mais le peu de consommation alimentaire fut dans un premier temps un problème pour la croissance économique selon J-M. Daniel dans « Redécouvrir les physiocrates » (2022). En effet, jusqu’à la première révolution industrielle, l’humanité était plongée dans un piège nutritionnel. Ainsi, faute de pouvoir consommer des denrées alimentaires, les travailleurs souffraient de famine et mourraient. Cette prophétie était d’ailleurs annoncée par Malthus qui voyait dans le manque de denrées alimentaires à consommer une raison de l’état stationnaire et du manque de croissance.
Pour autant, ce piège a été résolu par la Révolution Agricole qui précéda la première révolution industrielle. En effet, c’est-à-cette date que la productivité agricole a considérablement augmenté permettant aux pays de nourrir toute la population et de ne plus connaître de destruction de capital humain. C’est alors que l’on pourrait affirmer comme J. Bodin : « Il n’y a de richesses, ni de forces que d’hommes ». Le fait de pouvoir consommer des denrées alimentaires correctement (Révolution agricole) est une des raisons du décollage industriel de l’Angleterre au 19ème siècle selon P. Bairoch.
Dans un contexte plus récent, la consommation de produits de bonne qualité participe à un bon état de santé pour l’individu. Or il faut se rappeler que dans les premières théories du capital humain de Schultz & Becker, celui-ci ne réside pas que dans le niveau scolaire mais aussi le niveau de santé (physique et mental) de l’individu. Or si l’on considère que le capital humain est un facteur de croissance endogène (P. Romer, R. Lucas), il ne faut pas oublier de mentionner qu’une consommation saine permet d’améliorer la qualité du capital humain. Une bonne alimentation permet une meilleure forme physique, une réflexion plus dynamique qui contribue à l’amélioration de l’efficacité des travailleurs.
T de Saint-pol montre dans « Le corps désirable » que les personnes disposant d’une alimentation peu saine se retrouvent davantage au chômage car ils sont touchés par des maladies telle que l’obésité. Une consommation alimentaire suffisante et de bonne qualité permet ainsi d’avoir un volume de travail ainsi qu’une qualité de celui-ci supérieur. Cette consommation est autant vectrice de croissance extensive qu’intensive !
C. La consommation externe a permis la croissance économique des pays depuis l’Angleterre de la première révolution industrielle jusqu’à la chine du 21ème siècle
Finalement, il faut se rappeler qu’il ne suffit pas d’avoir de la consommation nationale pour avoir de la croissance économique. Celle-ci dispose évidemment d’effets positifs puisqu’elle contribue directement à l’augmentation du chiffre d’affaires de l’entreprise et donc de sa valeur ajoutée toute chose égale par ailleurs. Pour autant, cette consommation nationale fut prolongée par la consommation extérieure pour permettre un accroissement du produit intérieur brut. Rappelons d’ailleurs que dans l’équilibre emploi-ressources en économie ouverte on retrouve bien la consommation et les exportations comme moteurs de croissance : Y = C+I+X-M.
Dans « histoire économique », Bertrand Blancheton explique qu’une des raisons du décollage britannique est liée au commerce extérieur. En effet, le secteur textile est en situation de pénurie de main d’œuvre car la demande est trop forte et si celle-ci est trop forte c’est surtout parce que l’Angleterre dispose de débouchés importants avec ses colonies en Amérique du Nord et en inde. Les exportations de laines représentent 30% de la production anglaise à la fin du 18ème et 50% au milieu du 19ème siècle. Ainsi, si la croissance du secteur textile a été si forte c’est parce qu’elle fut tirée par les exportations.
On retrouve ce processus au 20ème siècle avec le développement des pays asiatiques qui s’inspire de la théorie du vol d’oies sauvages d’Akamatsu. Cette stratégie de développement par promotion des exportations repose sur la consommation des ménages des pays développés.
Ainsi dans une première phase, tous les pays en développement se développent économiquement en exportant vers les pays développés. Dans un second temps, ils doivent développer leur consommation intérieure pour passer le fameux tournant de Lewis. Ainsi, la Chine s’est principalement développée parce qu’elle était devenue dans les années 2000, l’atelier du monde satisfaisant la consommation des ménages américains et européens. Cette corrélation entre échange mondial et croissance s’est particulièrement distinguée entre 1945 et 1980 !
II – Mais ce n’est pas toujours le cas dans l’histoire économique car elle est aussi concomitante à certaines crises et périodes de remise en question de la croissance
A. Une consommation mal anticipée peut être à la base de crises économiques :
Nous avons bien montré dans le I-A- que la consommation anticipée par les entreprises pouvait être à l’origine d’un investissement de la part de ces dernières. En un certain sens, elles réalisent un pari incertain sur l’avenir puisqu’elles ne peuvent apprécier avec certitude la consommation future des ménages. Ce mécanisme peut tout d’abord conduire à une crise de surproduction. En effet, A. Aftalion avait montré avec sa métaphore du poêle à bois que les entreprises ont tendance à surestimer la demande, ce qui les pousse à investir de manière démesurée. Dès lors, cet investissement va se traduire par une offre excédentaire et in fine par une crise de surproduction.
En outre, l’anticipation de profits importants peut faire perdre la raison aux investisseurs, provoquant alors le début d’une bulle spéculative. En effet, H. Minsky montre en 1984 que le capitalisme est un système instable et porteur de crises car les investisseurs anticipent des profits dans certains secteurs seulement parce que d’autres anticipent ces profits. Ainsi, des comportements grégaires se mettent en place dans un contexte de croissance économique. Or ces comportements qui se caractérisent par un aveuglement au désastre vont se traduire par l’éclatement d’une bulle spéculative.
Pour être clair, l’anticipation de la consommation par les entreprises et les investisseurs va être à la base d’investissements importants dans tout projet qui touche ce secteur porteur. Ceci va créer au début de la croissance économique grâce aux retombées des projets rentables. Cette deuxième phase va accroître le financement spéculatif chez des acteurs non aguerris dans des projets moins rentables, une bulle spéculative se crée alors et est vouée à éclater un jour. La bulle internet de 2001 est donc un exemple des conséquences négatives de l’anticipation de la consommation sur la croissance économique.
B. La consommation n’est plus forcément synonyme de croissance économique dans une société du coût marginal zéro
En plus d’être synonyme de crise dans certains cas, la consommation peut aussi se juxtaposer avec une croissance atone. Depuis le début du 21ème siècle, certains auteurs parlent de période de stagnation séculaire. On pense notamment à R. Gordon (2012 et 2014). Celui-ci montre que la stagnation séculaire est due à la faiblesse du progrès technique et à 6 vents contraires. Notre hypothèse ici est que l’on peut imputer cela à une mauvaise mesure du P.I.B. qui ne prend pas en compte l’augmentation de la consommation.
Dans « Le pouvoir de la destruction créatrice » (2021), P. Aghion & al. reprennent l’idée que la stagnation séculaire supposée s’explique par le célèbre paradoxe de Solow. Selon eux, la troisième révolution industrielle qui est numérique et informatique a eu comme effet de rendre certaines choses gratuites pour les ménages. Ainsi, n’importe quel individu peut « consommer » des photos grâce à son smartphone sans en payer le prix. Dans cette nouvelle société du coût marginal zéro (J. Rifkin), la consommation des ménages ne se répercute plus directement sur la valeur ajoutée des entreprises car la consommation est devenue gratuite !
C. L’idéologie de la consommation a porté la croissance depuis le 19ème siècle mais elle va être à la base d’une obligation de l’arrêt de la croissance dans le futur selon une perspective décroissantiste
Depuis le 19ème siècle, la croissance économique a été portée par la consommation. Comme le montre C. Gollier dans « le climat après la fin du mois » (2019), la croissance économique nait via la consommation de charbon et le démarrage des émissions de Co2. Cette consommation d’énergies fossiles est depuis lors au service de la consommation des ménages. En effet, les entreprises se servent de consommations intermédiaires fossiles pour produire tout ce dont les ménages ont besoin et envie.
Cela se traduit par une dégradation environnementale puisque nous sommes dans une société basée sur le culte de la consommation. La consommation permet d’échapper à l’ennui et à la violence selon D. Cohen dans « Le monde est clos et le désir infini » (2015). L’idéologie de la consommation est donc à la base de la croissance économique qui elle aussi est devenue une idéologie. Or il nous est aujourd’hui impossible de croitre indéfiniment à cause de ces comportements passés.
Les théoriciens de la décroissance et notamment T. Parrique dans « Économie de la décroissance » (2022) montre que cette idéologie de la consommation de masse et cette consommation effrénée nous mène à notre perte avec le franchissement de toutes les limites planétaires. Pour reformuler, les consommations d’hier mettent en danger la croissance d’aujourd’hui puisque nos objectifs environnementaux nous imposent de revenir sur ce projet. La consommation d’hier va forcément provoquer une décroissance demain car on ne peut croitre indéfiniment dans un monde fini sauf si l’on est fou ou économiste comme le disait K. Boulding.
Conclusion
Tant les anticipations de consommation que la consommation en tant qu’acte et idéologie furent à la base de la croissance économique depuis la première Révolution industrielle. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il existe un lien automatique entre consommation et croissance économique depuis le 19ème siècle.
En effet, cette consommation effrénée de l’ère industrielle met en danger la croissance future en détruisant l’environnement. En outre, la consommation a aussi pu être impuissante face à la faiblesse de la croissance, elle a même pu engendrer des crises économiques. Nous pouvons donc conclure que la consommation dispose d’un lien étroit avec les cycles économiques mais non équivoque avec la croissance économique.