Misterprepa

La fuite des capitaux vers les États-Unis est-elle le symptôme d’un désaveu du projet européen ?

Sommaire

L’économie mondiale est marquée par des mouvements de capitaux qui reflètent bien souvent la confiance ou la méfiance envers certaines régions du globe. Si l’Europe s’est longtemps affirmée comme un projet économique ambitieux, la dynamique actuelle met en lumière une fuite inquiétante des capitaux vers les États-Unis. Ce phénomène, qui reflète un désintérêt croissant pour le marché européen, soulève des interrogations majeures : l’Europe est-elle condamnée à voir son projet économique échouer face à une concurrence internationale exacerbée et à une crise de confiance en interne ? 

 

La fuite vers la sécurité : un mécanisme purement humain

Dans son livre, This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly, coécrit avec Kenneth Rogoff en 2009, Reinhart a également parlé du phénomène de “flight to safety”. Lorsque l’incertitude ou des facteurs de crise affectent l’économie, des acteurs, comme des investisseurs, transfèrent des capitaux vers des centres de marché perçus comme des lieux sûrets, et cela affectent souvent des régions dont les économies pour s’avérer très faible en même temps.

Imaginez un investisseur moyen face à deux choix : placer son argent dans une économie politiquement stable avec une forte capacité de remboursement (par exemple, les États-Unis), ou dans une région marquée par des dissensions politiques et une croissance économique incertaine, comme l’Europe actuelle. Logiquement, cet investisseur optera pour la première option, cherchant à protéger son capital même si cela implique un rendement inférieur. Ce comportement agrégé conduit à un exode massif des capitaux depuis des zones perçues comme risquées.

Reinhart définit la fuite vers la sécurité comme le comportement rationnel des agents économiques lors des « crises jumelles » exprimées dans l’effondrement de la crédibilité des gouvernements et des institutions bancaires. La monnaie locale perd en valeur, tandis que les investisseurs optent pour les actifs en dollar américain. Par conséquent, la position des États-Unis sur le marché financier mondial s’affaiblit.

Le comportement des capitaux peut se formaliser ainsi :

U = R − σ

où U représente l’utilité espérée, R le rendement attendu, et σ le risque perçu. Dans une région comme l’Europe, où σ est amplifié par des crises politiques et économiques, U diminue mécaniquement. À l’inverse, aux États-Unis, grâce à une stabilité politique relative et un statut de réserve mondiale du dollar, σ reste faible, maximisant ainsi U.

Lire plus : Sur le papier, l’Europe est une bonne alternative à la mondialisation selon J. Delors

 

Citation punchy

 “Capital goes where it is treated best—this is a tale as old as capitalism itself.” (This Time is Different – Reinhart (2009), chapitre 6)

 

La prédilection actuelle des capitaux pour les Etats-Unis en chiffre

En 2023, les flux de capitaux montrent clairement une prédilection pour les États-Unis. Selon une étude de la Banque des règlements internationaux (BRI), les investissements étrangers directs (IED) en Europe ont chuté de 15 % par rapport à l’année précédente, tandis qu’ils ont augmenté de 25 % aux États-Unis. Une des causes principales de ce phénomène réside dans les politiques monétaires divergentes : alors que la Banque centrale européenne (BCE) lutte pour contenir l’inflation sans compromettre la croissance, la Réserve fédérale américaine a adopté une posture plus agressive, attirant les investisseurs avec des taux d’intérêt plus élevés.

De plus, la crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine a exacerbé les craintes liées à la dépendance européenne aux importations d’énergie. En 2022, le coût des importations énergétiques européennes a dépassé 800 milliards d’euros, un record historique. En parallèle, le dollar s’est renforcé de 10 % par rapport à l’euro, renforçant l’attractivité des actifs américains pour les investisseurs internationaux.

Lire plus : La vision de l’Europe des Pères fondateurs

 

Sujets en lien

L’Europe est-elle condamnée à être une puissance normative ?

Les défis de l’Union européenne face à la mondialisation.

Le rôle des institutions dans la croissance économique

 

 

Newsletter
Image de Aurele Tranchant
Aurele Tranchant