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Déficits commerciaux, désindustrialisation, et demande

Sommaire

La dernière lettre du CEPII numéro 426 publiée en avril 2022 et rédigée par Carl Grekou et Thomas Grejbine est extrêmement intéressante pour l’épreuve d’ESH car elle met en exergue le lien que l’on peut trouver, notamment au sein de l’Union Européenne, entre les déficits commerciaux, la désindustrialisation et la demande.

Introduction

Alors que les déséquilibres intra-européens se sont réduits au cours de la dernière décennie, l’Espagne et l’Italie affichant des excédents commerciaux depuis 2012, les divisions entre les deux principales économies de la zone euro, l’Allemagne et la France, persistent. La demande intérieure est un déterminant important pour comprendre ces évolutions, mais les écarts de performance à l’exportation entre l’Allemagne et la France, l’Espagne et l’Italie qui se sont creusés dans les années 2000 sont tout aussi importants. Les politiques expansionnistes mises en œuvre par ces trois pays ont eu pour effet d’accélérer la désindustrialisation. Le dilemme de la politique macroéconomique déjà mis en évidence par Keynes apparaît plus que jamais préoccupant : à court terme bon pour l’activité économique, les politiques de relance ne sont pas sans impact sur les balances commerciales et la compétitivité industrielle.

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Contexte

Dans les années 2000, la politique budgétaire et les réformes sociales ont divergé entre l’Allemagne et les trois économies latines. Tandis que l’Allemagne poursuivait des politiques qui comprimaient sa demande, l’Espagne, la France et l’Italie récupéraient leurs économies. La fin des années 2000 marque un tournant, avec des politiques d’austérité particulièrement dures en Espagne et en Italie, et plus limitées en Allemagne et en France.

La demande intérieure a traditionnellement été considérée comme un facteur affectant uniquement les importations. Cependant, c’est aussi un déterminant important des exportations, et elle affecte les exportations par deux canaux différents. La baisse de la demande entraîne en fait une baisse de l’inflation (ou une dépréciation du taux de change nominal en régime de change flexible), ce qui rend les exportations plus compétitives. L’augmentation des exportations due aux politiques d’austérité peut également provenir d’une « suppression des excédents domestiques ». Selon ce mécanisme, les entreprises compensent la baisse des ventes sur le marché intérieur en recherchant activement des débouchés à l’étranger. Ainsi, l’effondrement de la demande intérieure espagnole entre 2009 et 2013 explique près de la moitié de la forte hausse des exportations espagnoles durant cette période. La hausse des exportations allemandes au début des années 2000 pourrait être due à un phénomène similaire.

Au début des années 2010, les politiques d’austérité particulièrement dures mises en œuvre par l’Espagne et l’Italie conduiront à un resserrement de l’écart de demande intérieure avec l’Allemagne, qui est la principale raison du resserrement de l’écart de leurs performances à l’exportation. Au cours de la période 2014-2019, la France a été marquée par des politiques de réduction des coûts (Acte de Responsabilité et de Solidarité, Compétitivité et Crédit d’Impôt Emploi), la compétitivité-coût a davantage contribué à combler l’écart de performance à l’exportation avec l’Allemagne (40 %), mais l’écart lui-même est faible.

Les résultats de la balance commerciale offrent une leçon similaire. Les différences d’évolution de la demande intérieure expliquent la relative dégradation du solde commercial entre 82 % de l’Espagne, 61 % de la France et près de 45 % de l’Italie avec l’Allemagne sur la période 1999-2007. Les variations relatives des coûts salariaux unitaires contribuent davantage à la détérioration de la balance commerciale (que les exportations) car leur hausse favorise les importations.

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Désindustrialisation : le revers des politiques de demande

Les politiques expansionnistes mises en place par l’Espagne, la France et l’Italie dans les années 2000 ont non seulement entraîné une forte détérioration des balances commerciales de ces pays, mais aussi accéléré leur désindustrialisation. D’une part, plus un pays se désindustrialise, plus les politiques de relance vont détériorer sa balance commerciale (par les importations) car les équipements de production ne peuvent pas répondre à cet excès de demande. D’autre part, ces politiques de demande et la détérioration conséquente de la balance commerciale conduiront à une désindustrialisation accélérée. La hausse des importations et la baisse des exportations ont entraîné un « déplacement » de la production nationale vers l’étranger. Comment l’expliquer ?

La production nationale de biens manufacturés peut être vendue sur le marché extérieur (exportations) ou sur le marché intérieur (demande intérieure), mais dans ce dernier, lorsqu’il y a importations, les débouchés de cette production nationale sont réduits. Il s’agit ici d’une relation comptable : la production domestique est égale à la somme des débouchés intérieurs (demande interne) et extérieurs (exportations) à laquelle il faut retrancher les importations.

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Pour conclure, les évolutions de la demande interne constituent un déterminant majeur des dynamiques commerciales et des évolutions des tissus industriels. En cela, elles nous confrontent au dilemme des politiques budgétaires expansionnistes. Si ces politiques ont clairement des effets positifs sur l’activité à court terme (en particulier sur la consommation, l’investissement et l’emploi), elles conduisent dans le même temps à une aggravation des  déficits  extérieurs,  favorisant  en  retour  le  processus de désindustrialisation. Un pari risqué pour les pays avec une base industrielle plus fragile, comme la France, qui peuvent être entraînés dans une spirale où l’innovation devient de plus en plus difficile à mesure que cette base se réduit, où les pertes de savoir-faire et de compétences s’accélèrent, rendant d’autant plus complexe une stratégie de réindustrialisation. Faut-il pour autant adopter des politiques néomercantilistes de compression de la demande pour imiter les exemples allemand ou espagnol ? Une telle stratégie aboutirait à une forte hausse du chômage, d’autant plus forte dans le cas de l’économie française que sa croissance dépend fortement de la demande intérieure. Reste l’option d’un rééquilibrage durable de la demande au sein de la zone, une option  maintes  fois  évoquée  et  difficile  à  mettre en  œuvre  au niveau européen, mais seule à même d’éviter une surenchère de politiques d’austérité qui viendrait, en outre, percuter les ambitions européennes en matière de transition écologique.

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Damien Copitet
Je suis étudiant à SKEMA BS après deux années de classe préparatoire au lycée Gaston Berger (Lille). Nous nous retrouvons toutes les semaines pour l'actualité en bref