Cet article s’intéresse à la philosophie morale de Schopenhauer. Celle-ci consiste à la recherche du fondement de la morale. Le fondement de la morale de Schopenhauer repose sur sa métaphysique pessimiste. Pour rappel, celle-ci affirme que la vie est essentiellement souffrance. Le monde est ainsi dominé par la volonté. Cette dernière est le fondement de toutes choses, y compris de la moralité. Schopenhauer pense que la moralité doit être fondée sur la compassion, la pitié et l’empathie. Il développe cette pensée dans Le Fondement de la Morale.
Les motifs généraux auxquels se rapportent les actions humaines
Dans son ouvrage, Schopenhauer distingue quatre motifs généraux auxquels se rapportent les actions de l’homme. Tout d’abord, il y a l’égoïsme, soit la volonté de poursuivre son propre bien. Ensuite, on trouve la méchanceté, soit la volonté de poursuivre le mal d’autrui. Puis vient la pitié, la volonté de viser le bien d’autrui. Enfin, la méchanceté, qui vise la souffrance d’autrui. On constate ici que tous ces motifs sont liés à la poursuite de son propre bonheur ou du malheur d’autrui. La pitié est le motif qui intéresse le plus Schopenhauer. Elle vise à la joie d’autrui, de manière désintéressée. Elle s’appuie uniquement sur le sentiment. La pitié n’a pas de règles.
Le fondement de la morale
Dans sa recherche sur le fondement de la morale, Schopenhauer prend l’exemple de Caius et Titus, épris de deux filles différentes. Ils font tous deux face à des rivaux qu’ils cherchent à tout pris à éliminer. Toutefois, au moment des préparatifs du meurtre, ils décident de revenir sur leur décision. Caius est exclusivement retenu par des motifs religieux, par la fidélité à la règle divine. Il suit donc une maxime de moralité, proche de l’idée de Kant : “tu ne traiteras ton prochain jamais comme moyen mais toujours comme une fin.”
De son côté, Titus invoque une toute autre raison. C’est sur la pitié et la compassion que s’est appuyée sa décision. Qui est retenu par le motif le plus pur ? Caïus s’est retenu par égoïsme, par peur du jugement divin. Titus quant à lui s’est retenu par pitié. Aux yeux de Schopenhauer, Titus est assurément le plus pur.
La critique de la morale kantienne
A travers cet extrait Schopenhauer critique également la morale kantienne, une morale déontologique (basée sur le devoir), froide. En effet, Kant traite de la morale en termes d’obligation, à travers l’idée de la maxime universelle. Le principe de la moralité revient à agir conformément aux règles morales même si on n’en a pas envie. Pour Kant, seul compte le souci de respecter la loi morale elle-même, de faire le bien. Mais cette doctrine est abstraite et purement rationnelle. La morale est hors de tout bon sentiment.
C’est pourquoi Schopenhauer rejette absolument cette idée. La morale ne peut pas être fondée sur des principes universels. En effet, chaque être humain est unique et la morale doit s’adapter à chacun selon ses besoins et sa situation. Pour cette raison, la morale doit être basée sur l’empathie et la compréhension des autres. Par ailleurs, Schopenhauer ne conçoit pas l’idée de la morale comme un devoir. Il ne peut y avoir selon lui que des devoirs de justice ou de charité. En s’appuyant sur l’idée de “volonté”, l’action apparaît toujours comme le fruit du consentement. La morale est donc naturelle, spontanée, intuitive.
Cela implique la relativité de la morale à la culture et l’éducation d’un individu. La philosophie morale de Schopenhauer s’oppose donc à celle du devoir de Kant. La première repose sur l’intuition, le cœur, la deuxième sur la raison. La morale kantienne est une morale d’esclave pour Schopenhauer. Elle s’oppose à l’éthique chrétienne mais aussi à l’éthique proprement humaine. En effet, toute action morale chez Kant dépend du seul respect de la loi morale. Agir moralement par devoir est contradictoire puisque c’est justement dans le désintérêt que se trouve le fondement de la morale schopenhauerienne.
Une morale fondée sur la compassion
Plutôt que de fonder la morale sur la crainte de sanctions, Schopenhauer lui donne une raison plus profonde, mais aussi plus difficile à trouver. Par ailleurs, en plus de son fondement, il dote sa morale d’un principe simple : “Ne fais de mal à personne, aide plutôt chacun selon ton pouvoir.”
La morale doit être fondée non pas sur la raison ou la connaissance abstraite mais sur la connaissance intuitive. Elle ne peut naître que de l’intuition qui reconnaît dans un étranger le même être que celui qui réside en nous. Ceci montre en quoi la compassion est à la base de toute moralité. Elle permet de reconnaître la souffrance des autres, ce qui nous pousse à agir en leur faveur. La compassion est donc le fondement de l’éthique de Schopenhauer, qui considère que le but de la vie est de minimiser la souffrance autant que possible.
La pitié demeure un motif d’une efficacité remarquable même lorsqu’il n’y a plus de loi. Elle empêche les injustices et encourage les bonnes actions sans espoir de récompense. “Nous reconnaissons là, sans réserve, avec respect, avec vénération, la dignité morale véritable”. La pitié désigne une compassion sans bornes à l’égard de tous les êtres vivants. En ce sens, elle est le garant le plus sûr de la moralité. La pitié est l’unique source des actions moralement bonnes.
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La nature de la pitié
La pitié est le phénomène premier en morale. Voir la souffrance d’autrui nous amène à être capables de nous déterminer à agir ou à nous abstenir. A son degré plus bas, la pitié combat l’égoïsme qui regroupe les motifs d’intérêt et de méchanceté. Elle nous retient pour éviter d’infliger une souffrance à autrui et de créer un mal ou de devenir soi-même la cause de la douleur de l’autre.
Ce qui fait de la pitié l’unique motif de la moralité, c’est son pouvoir de réduire nos penchants naturels pour éviter de causer du tort à autrui. Elle freine notre égoïsme et notre méchanceté pour fonder une société où chacun vise le bien de tous. Cette disposition d’esprit particulière, qui devrait être habituelle, fait naître le premier degré de la pitié : “le principe de la justice.
C’est de cette manière que l’homme devient incapable de porter atteinte à son semblable, de lui causer une douleur physique et morale. La pitié nous retient de tous nos plaisirs charnels qui impliquent de sacrifier le bonheur d’autrui et dégradent une femme jusqu’à l’objet. Elle protège chacun contre toute agression.
Sortir de l’égoïsme
Par ailleurs, la pitié est ce qui permet de sortir de l’individualisme. Elle est ce regard tourné en dehors de nous, dans le domaine de la représentation, du pur phénomène. Dès lors, l’individu ne se considère plus comme un tout dans le principe d’individuation, mais comme s’il n’était plus rien du fait qu’il est délivré de l’égoïsme. Ce dernier est à l’origine de notre erreur fondamentale dans la relation avec les autres, car nous croyons que les autres ne sont que des “non-moi”. Il est donc indispensable d’avoir recours à la justice, à la noblesse, au respect réciproque pour dépasser les déterminations du vouloir-vivre.
L’objectif de la moralité est de supprimer les barrières de l’égoïsme et transformer le non-moi en moi. Il ne s’agit pas d’éviter des comportements blâmables et contraires au droit ou à la raison mais d’adopter avec pleine volonté le sentiment de compassion inspirant le désir d’aider.
La pitié comme amour de l’humanité
En résumé, pour Schopenhauer, la morale repose non pas sur les connaissances abstraites mais sur les connaissances intuitives. Donc, le bien s’acquiert non pas dans la philosophie morale abstraite mais dans la philosophie morale intuitive. La pitié doit être le principe de la moralité. Ce principe consiste à ne pas faire de mal à autrui et pour ce faire, à l’aider selon notre pouvoir. La pitié, ce phénomène moral destiné à l’attachement tendre et respectueux, à l’amour de l’humanité, fait preuve de vertu et de sagesse en ce sens qu’elle cherche à réduire, voire à supprimer la distance entre le moi et le non-moi. Nous ne pouvons nous rapprocher du non-moi qu’en réduisant le désir. Tout acte qui ne s’appuie pas sur la pitié et la compassion est intéressé et n’a pas de valeur morale. Accomplir un acte désintéressé demande des sacrifices dans le seul but de nier le vouloir vivre pour le salut de tous.