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Le monde totalitaire selon Arendt : La nature du totalitarisme (1/2)

Sommaire
totalitarisme

Dans La nature du totalitarisme, Arendt cherche à trouver les caractéristiques propres à ce régime et analyse ainsi la nature du monde totalitaire.

La conception du gouvernement : concepts et méthode

Le totalitarisme, “il est  la négation la plus absolue de la liberté.” Toutefois, cette négation est le fait de toutes les dictatures et n’est pas une caractéristique essentielle pour distinguer les régimes totalitaires. Dans son analyse, Arendt a recours à la conception du gouvernement selon Montesquieu. Celui a deux éléments :sa “structure particulière” et un “principe” particulier qui le fait mouvoir.

Par exemple “le principe de toute action, en république, est la vertu politique, […], l’amour de l’égalité; le principe de la monarchie est l’honneur, dont l’expression psychologique est la passion pour la distinction et, dans une tyrannie, le principe est la crainte.”

Quant aux principes d’actions des gouvernements, ils sont les suivants : la vertu dans les formes constitutionnelles (l’amour de l’égalité), l’honneur dans les monarchies et la crainte dans les tyrannies.

Le problème de tout gouvernement

Pour Montesquieu, tout gouvernement doit chercher à résoudre une dualité de ce qui est juste et injuste. Cette dualité des normes a sa source dans le fait que l’homme est en même temps citoyen et individu. Cela tient à la différenciation entre politique étrangère et politique intérieure.Or, les gouvernements totalitaires estiment avoir résolu les deux, prétendant à un gouvernement mondial.

Ainsi, les régimes totalitaires cherchent à instaurer “sur terre un droit nouveau et universellement valide. Ainsi, pour un esprit totalitaire, toute politique étrangère est une politique intérieure masquée et toutes les guerres extérieures sont en fait des guerres civiles.”


Le principe du totalitarisme

“La crainte, ce principe qui constitue la source de l’action dans les tyrannies, est profondément liée à l’angoisse […]. Cette angoisse nous fait découvrir l’envers de l’égalité.”. En tyrannie, la crainte comme principe d’action constitue une contradiction au sens où elle désespère toute action.

“Comme principe d’action, elle ne peut être que destructrice, […] corrompue par nature.” La tyrannie est donc la seule forme de gouvernement qui porte en elle-même les germes de sa destruction et ne doit sa survie qu’à des causes accidentelles, externes qui l’empêche de se corrompre elle-même.

Ces 3 formes de gouvernement sont authentiques car l’assise sur laquelle repose leur structure traduit des expériences humaines fondamentales. Dès lors, Arendt se demande : peut-on invoquer, pour le totalitarisme, un fondement tout aussi authentique ?

 

La nature du totalitarisme

Pour tenter de comprendre la nature du totalitarisme, Arendt pose les questions classiques “touchant la nature de ce régime et le principe qui le fait agir” (sa structure et son principe d’action pour reprendre Montesquieu). “Le gouvernement totalitaire est sans précédent parce qu’il défie toute comparaison. Il a fait éclater la distinction sur laquelle faisaient fond les définition de la nature des gouvernements”.

“Le régime totalitaire est “sans lois” en ce qu’il se joue de toutes les lois positives, mais il n’est pas arbitraire car il obéit, selon une logique rigoureuse, à ces lois de l’Histoire ou de la Nature.” Il existe une différence essentielle qui sépare la conception totalitaire du droit de toutes les autres formes de gouvernement. Autrefois, les lois positives des hommes étaient considérées comme changeantes et modifiables selon les circonstances, mais elles jouissaient d’une permanence relative face aux actions humaines. De plus, les êtres humains ne devenaient pas des incarnations de la loi.

Dans le totalitarisme, “les lois deviennent toutes, au contraire, des lois du mouvement. “Les diverses manifestations idéologiques du racisme […] ont transformé la nature et l’histoire qui ont cessé d’être le sol ferme sur lequel se mouvaient la vie et l’action humaines pour devenir des forces démesurées”. Ces idéologies aboutissent toujours, en pratique, à la même loi, “celle de l’élimination des individus au profit du processus et du progrès de l’espèce.”

 

La terreur comme essence du totalitarisme

“Dans le gouvernement totalitaire, la terreur cessant d’être un moyen pour éliminer l’opposition politique, elle en est devenue indépendante, et elle règne de manière absolue lorsqu’elle ne rencontre plus aucune forme d’opposition sur son chemin.” La terreur constitue l’essence du gouvernement totalitaire. Elle n’est au départ qu’un moyen, mais celui-ci mute rapidement en caractéristique essentielle une fois devenu autonome.

La terreur vise à “stabiliser” les hommes, à les rendre statiques, “pour empêcher tout acte imprévu, libre”. “La terreur fige les hommes de manière à libérer la voie pour le processus naturel ou historique.” Elle “commence par effacer les limites instituées par la loi des hommes […], substitue aux limites et aux modes de communication entre individus un carcan qui maintient ces derniers si étroitement serrés qu’ils sont comme fondus ensemble.”

“La terreur totalitaire n’ampute pas toutes les libertés politiques pas plus qu’elle n’abolit certaines libertés fondamentales […]. Elle se contente de serrer sans relâche les uns contre les autres les hommes tels qu’ils sont, de sorte que le champ même de l’action libre, c’est-à-dire la réalité de la liberté, disparaît.

Il y a donc une double fonction de la terreur : essence du gouvernement et principe, non d’action, mais de mouvement.

Totalitarisme et tyrannie/despotisme, quelles différences ? 

“La proximité entre gouvernements totalitaires et régime despotique est tout à fait manifeste, et elle s’étend à presque tous les domaines.” En effet, l’usage que le totalitarisme fait de la violence et de la terreur est différent : il va bien au-delà de leurs limites. Son caractère essentiel est à l’opposé de la terreur qu’exerçaient les policiers et les espions du passé.

La seule similitude existant entre ces 2 formes de gouvernements est que “tout le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul homme qui l’emploie de manière à rendre tous les autres totalement et absolument impuissants.” Dans le régime totalitaire, une volonté unique survit dans une population dominée, et un seul esprit suffit pour veiller sur toutes les activités humaines.”

Contrairement au tyran,  “le dictateur totalitaire se considère comme l’unique chef de l’ensemble de la race humaine”, il ne cherche pas à assurer le calme et la sûreté de son règne. Par ailleurs, le dictateur totalitaire ne se considère pas comme un agent libre mais plutôt “comme l’exécutant de lois qui lui sont supérieures.”

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Le cas de Lénine et Mussolini

Ainsi, aux yeux de Arendt, ni Lénine, ni Mussolini n’ont été des dictateurs totalitaires. Lénine n’était qu’un dictateur révolutionnaire à parti unique dont le pouvoir résidait surtout dans l’appareil bureaucratique. Quant à Mussolini, le nationalisme et le culte de l’Etat l’écarte de cette définition.

Avec ces exemples, Arendt pointe une erreur dans l’analyse des régimes totalitaires : celle d’expliquer la domination totalitaire par des causes d’ordre historique ou d’un autre ordre qui ne sont pertinentes que pour le pays en question. En effet, l’Allemagne nazie et l’URSS sont parties de conditions diamétralement opposées (historiques, économiques, idéologiques, culturelles) pour aboutir à un résultat structurellement identique.

Les origines du totalitarisme 

“Le totalitarisme […] est issu de dictatures à parti unique qui, comme les autres tyrannies, ont employé la terreur comme moyen pour instituer le désert de l’absence de compagnie et de l’abandon.” C’est bien la terreur qui institue le totalitarisme, en parvenant à isoler chaque particule de la société.

“La tyrannie est sans précédent en ce qu’elle fond ensemble les hommes dans le désert de l’isolement et de l’atomisation puis introduit un immense mouvement dans le calme des cimetières.” Ce dont la domination totalitaire a besoin, en guise de principe d’action, “c’est une préparation des individus qui les destine à remplir aussi bien la fonction de bourreau que celle de victime.”. Or, cette double propédeutique n’est autre que l’idéologie.

Idéologie et perception du monde totalitaire

Peu importe que l’idéologie soit inepte et dépourvue de contenu spirituel (racisme) ou bien imprégné de ce que notre tradition a de meilleur (socialisme), “les idéologies deviennent le moteur de l’action politique” en un double sens. D’abord, elles déterminent les actions politiques de celui qui gouverne”. Ensuite, “elles permettent à la population gouvernée de les supporter.”

Une idéologie en est une lorsqu’elle prétend avoir trouvé l’explication clé de tous les mystères que recèlent la vie et le monde. Ce pu être la prétention d’expliquer l’ensemble du cours de l’histoire comme étant le produit de manœuvres secrètes des Juifs par exemple.

Les idéologies sont donc “ces systèmes d’explication de la vie et du monde qui se flattent d’être en mesure d’expliquer tout événement, passé ou futur, sans faire autrement référence à l’expérience réelle.” La pensée idéologique, indépendante de la réalité existante, ne connaît plus de critère fiable permettant de distinguer vérité et fausseté. 

Alors, la cohérence de l’idéologie est toujours en conflit avec l’incohérence du monde et le caractère imprévisible des actions humaines. Pour résoudre ce conflit, les gouvernements totalitaires ont recours à la terreur.

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Gabin Bernard