Dans un monde marqué par une croissance économique effrénée et une exploitation toujours croissante des ressources naturelles, certains économistes s’élèvent contre le paradigme dominant. Parmi eux, Timothée Parrique, économiste et chercheur français, se distingue par sa vision critique de la croissance économique et son plaidoyer pour un modèle alternatif : la décroissance. La question qui se pose alors est la suivante : comment et pourquoi la décroissance pourrait-elle être non seulement souhaitable et promu par les États mais aussi essentielle pour le développement futur des sociétés ?
La décroissance selon Timothée Parrique
La décroissance, telle que l’entend Parrique, consiste en une réduction contrôlée de la production économique afin de diminuer l’empreinte écologique et d’améliorer la qualité de vie. Contrairement à la récession, qui est une baisse de la production subie et souvent brutale, la décroissance est choisie et planifiée. Parrique postule que dans un système économique orienté vers la croissance, on consomme bien plus que ce que la planète peut supporter. Il remet en question l’idée, profondément ancrée dans la théorie économique classique, selon laquelle une croissance continue est nécessaire au bien-être humain. En réduisant notre consommation, en produisant moins, et en recentrant les efforts économiques sur des biens et des services véritablement essentiels, la société peut mieux préserver ses ressources naturelles et atteindre une forme de prospérité durable, ou de prospérité “partagée” comme dirait la Banque mondiale.
Selon Parrique, la décroissance n’est pas une réduction anarchique de toutes les activités économiques, mais une redéfinition des objectifs économiques en fonction des besoins réels et de la soutenabilité écologique. L’économie de la décroissance s’oppose au concept de « PIBisme », c’est-à-dire la fixation sur le produit intérieur brut comme indicateur principal de prospérité. Son oeuvre critique la notion de « découplage » absolu, qui suggère qu’il serait possible de croître indéfiniment tout en réduisant l’impact écologique de cette croissance. De facto, même avec des gains en efficacité énergétique, le phénomène de l’effet rebond (l’augmentation de la consommation liée à une efficacité accrue) rend le découplage absolu irréaliste. Selon lui, la seule solution viable est la diminution volontaire de la production, en ciblant surtout les secteurs les plus polluants.
En maths ça donne…
Pour illustrer la décroissance en termes mathématiques, prenons une fonction de production simple, représentée par :
Y = f(K,L,R)
où Y est le produit national, K le capital, L le travail, et R les ressources naturelles. Dans le modèle de croissance classique, la hausse de K et L (investissements en capital et en travail) vise à accroître Y. Cependant, selon Parrique, R (les ressources) est limité, et sa surexploitation entraîne une dégradation du capital naturel, affectant directement la soutenabilité du système.
La décroissance implique donc une diminution volontaire de Y, tout en optimisant l’utilisation de R de manière à ne pas dépasser les capacités de régénération des ressources. Si l’on considère une réduction de R dans la fonction de production, cela implique mathématiquement que pour maintenir Y constant ou le faire décroître, il faut ajuster à la baisse K et/ou L, orientant ainsi l’activité économique vers des secteurs moins polluants et moins gourmands en ressources.
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Citation punchy
« La décroissance, c’est apprendre à dire ‘assez’ dans un monde qui ne connaît que le ‘plus’. Il s’agit de se libérer du carcan de la croissance économique pour réinventer une prospérité respectueuse de la vie. » (Ralentir ou périr : L’économie de la décroissance, 2022, chapitre 3)
Le Japon et la « croissance zéro »
Pour illustrer la thèse de Parrique, prenons l’exemple de la stagnation économique japonaise depuis les années 1990, souvent appelée la « décennie perdue », même si elle s’étend bien au-delà. Après l’éclatement de la bulle immobilière et boursière en 1991, le Japon a expérimenté une période de croissance quasi nulle. Pourtant, contrairement aux prédictions des économistes, le Japon conserve encore aujourd’hui une des meilleures espérances de vie au monde avec 84,6 ans en 2020 (selon la Banque mondiale), et la consommation énergétique par habitant au Japon a bien diminué au cours des dernières décennies passant de de 160 MWh en 1990 à 125 MWh en 2019.
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