François Perroux, dans son article L’Europe fin de siècle, écrit en 1974, souligne que l’Europe a considérablement élargi son influence géographique et politique, au détriment de son intensité économique et sociale. En d’autres termes, Perroux affirme que le phénomène du déclin de l’intensité économique est largement déterminé par le mécanisme domination cumulative. C’est un mécanisme qui implique que d’un côté, la puissance économique dans l’économie n’est jamais distribuée de manière uniforme, elle tend à se concentrer autour des pôles de puissance, de sorte que les régions ne deviennent plus périphériques et, d’un autre côté, ces régions perdent de l’intensité économique, de cohésion.
Le mécanisme de domination cumulative de Perroux
Le concept de domination cumulative est basé sur les idées de Perroux, selon lesquelles les pôles de croissance, et donc la géographie économique la plus inégale, dominent. L’idée est simple : les territoires où les agents économiques qui avaient un développement significatif ou qui avaient plus de ressources, de capitaux et d’influence, ont renforcé leur position de domination au détriment des autres régions ou industries qui sont devenues de plus en plus marginalisées ou stagnantes.
Par exemple, imaginez une économie avec deux régions: une région centrale fortement industrialisée et une région périphérique fortement basée sur l’agriculture. La première a attiré beaucoup d’investissements, de personnel qualifié et de talents, créant ainsi un cycle vertueux d’attractivité pour les capitaux. Par contre, la périphérie sans avantages compétitifs stagnait ou était en déclin. Ce phénomène n’est pas temporaire. Il a tendance à s’intensifier avec le temps.
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Analyse mathématique
Considérons une équation simple qui modélise cette dynamique :
soit Gc(t) la croissance de la région centrale au temps t, et Gp(t) celle de la région périphérique. On postule que la croissance de la région centrale dépend positivement de sa position initiale et de la différence entre les deux régions :
Gc(t) = G0 + α(Gc(t)− Gp(t))
où G0 représente la croissance autonome de la région centrale et αα est un coefficient qui capte l’effet cumulatif.
À l’inverse, la croissance de la région périphérique pourrait être représentée par l’équation suivante :
Gp(t) = G0−β(Gc(t) − Gp(t))
où β est un coefficient qui capte la fuite des ressources de la région périphérique vers la région centrale.
Ces deux équations montrent que, tant que Gc(t) est supérieur à Gp(t), la région centrale continuera à croître plus rapidement, tandis que la périphérie se détériorera progressivement. À long terme, cela conduit à une divergence significative entre les deux régions, renforçant l’idée de concentration du pouvoir économique.
Citation punchy
« La croissance n’est pas un processus harmonieux et égalitaire ; elle est une expansion qui profite à ceux qui en ont déjà les instruments. Elle crée des pôles de richesse et de pouvoir, et des zones d’abandon. » (L’économie du XXe siècle, 1961, p. 145).
L’Europe de l’Est après l’élargissement de l’Union européenne
Un exemple de ce phénomène de domination cumulée est l’histoire récente serait l’élargissement de l’Union européenne à l’est après 2004. Là où, par exemple, l’Europe occidentale, et des pays tels que l’Allemagne et la France, disposait déjà de solides cadres économiques et de hauts niveaux d’investissement, les nouveaux pays de l’est se sont retrouvés en position de faiblesse.
Pour ne citer que la Roumanie, récemment, l’une des économies les plus fortes du bloc de l’est fait partie de l’Union européenne. En 2007, l’année de son adhésion, son PIB par habitant était près de 70 % inférieur à la moyenne de l’Union européenne. Même en 2020, malgré des taux de croissance comparativement élevés, des écarts de croissance n’ont pas été comblés. Les données d’Eurostat montrent que le PIB par habitant de la Roumanie était de 55 % de celui de l’Allemagne encore en 2020.
Ce phénomène peut être expliqué par le mécanisme de domination cumulée : l’Europe de l’ouest déjà établie drainait des investissements et des talents qu’en partie, et cela se faisait souvent au détriment des nouveaux membres de l’est, dont la progression restait faible. Cela se produisait alors même que l’Union européenne avait adopté des politiques de cohésion : l’élargissement européen réunissait donc la création d’intensité.
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