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La notion de pauvreté selon Ester Duflo

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Dans un monde où l’hyperglobalisation façonne les interactions économiques, la pauvreté reste un défi majeur, défiéant les frontières et les époques. Esther Duflo, professeure émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et lauréate du prix Nobel, a apporté un regard neuf sur l’analyse de la pauvreté, en s’éloignant des généralités pour s’ancrer dans l’empirisme. Son approche rigoureuse, qui combine des expérimentations de terrain à des analyses quantitatives, a permis d’éclairer les dynamiques de la pauvreté et de tester l’efficacité des politiques de développement d’une manière jusqu’alors inédite. Cet article se penche sur la méthodologie de Duflo, illustrant son impact sur notre compréhension de la pauvreté et sur les stratégies pour la combattre.

Qu’est-ce que la Nouvelle Économie de la Pauvreté ?

Délaissant les modèles théoriques abstraits, Esther Duflo et ses collaborateurs ont choisi de se confronter à la réalité du terrain. Leur usage des expérimentations randomisées contrôlées (ERC), similaires aux essais cliniques en médecine, permet d’isoler et de mesurer les effets d’une politique sur un échantillon de population. Cette méthodologie, bien que plus coûteuse et laborieuse que les analyses de données observées, offre des preuves concrètes de l’efficacité ou de l’inefficacité des interventions, permettant ainsi de guider les décideurs politiques avec des données fiables.

Les mathématiques interviennent dans la modélisation de la pauvreté et l’évaluation des politiques. Un exemple simple est l’indice de pauvreté de Foster-Greer-Thorbecke (FGT), où l’indice Pα​ est défini comme :

avec n le nombre d’individus, q le nombre d’individus en dessous du seuil de pauvreté z, yi​ le revenu de l’individu i, et α un paramètre qui mesure l’aversion à l’inégalité. Duflo utilise de tels indices pour identifier les foyers de pauvreté et évaluer l’efficacité des interventions.

Le projet de microcrédit en Inde offre une illustration frappante de la théorie de Duflo.

En introduisant le microcrédit, Duflo et son équipe ont permis aux ménages pauvres d’investir dans des microentreprises, ce qui a augmenté leur revenu et leur a permis de s’extraire de la pauvreté. Le succès de ces microentreprises est corroboré par le taux de remboursement élevé des prêts, qui s’est élevé à 97% en 2005, prouvant la viabilité financière de ces entreprises et la responsabilité des emprunteurs.

En outre, les travaux de Duflo ne se limitent pas à l’Inde. En Afrique, par exemple, elle a étudié les impacts des bourses scolaires sur la fréquentation scolaire et les résultats des élèves. Les résultats ont montré que les bourses ont significativement augmenté la fréquentation scolaire, en particulier chez les filles, avec une baisse concomitante des mariages précoces et des grossesses chez les adolescentes. Cela démontre que des interventions ciblées peuvent avoir des effets profonds sur les structures sociales et économiques qui entretiennent la pauvreté.

« La pauvreté est un problème de pauvres solutions, pas de pauvres personnes. » E. Duflo

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L’exemple de l’économiste-plombier

Le programme de déparasitage au Kenya

Dans les années 2000, Esther Duflo et ses collègues ont mené une série d’expérimentations randomisées contrôlées au Kenya pour évaluer l’impact d’un programme de déparasitage sur l’éducation des enfants. Les vers intestinaux étaient un problème endémique dans certaines régions du Kenya, causant de l’absentéisme scolaire et entravant l’apprentissage des enfants.

L’intervention consistait en un programme de déparasitage simple et peu coûteux. En effet, Duflo a observé qu’en fournissant des traitements antiparasitaires gratuits dans les écoles, non seulement la santé des enfants s’est améliorée, mais leur présence à l’école a également augmenté et, par extension, leurs performances scolaires se sont améliorées.

Le « travail de plomberie » d’Esther Duflo dans ce contexte impliquait de comprendre les intrications entre la santé et l’éducation, et d’ajuster minutieusement les politiques pour remédier à un problème spécifique. Plutôt que de se concentrer uniquement sur des interventions éducatives classiques comme l’amélioration des programmes scolaires ou la formation des enseignants, elle a identifié une cause sous-jacente de l’absentéisme et a proposé une solution ciblée qui s’est avérée être extrêmement efficace.

La réussite de ce programme a été si convaincante que le gouvernement kenyan a adopté le programme de déparasitage à l’échelle nationale. Les résultats ont été remarquables : une étude de suivi a montré que le programme de déparasitage avait non seulement des effets positifs immédiats sur la santé et l’éducation, mais qu’il améliorait également les résultats économiques à long terme pour les enfants traités.

En résumé : « Comme un plombier qui ajuste les tuyaux pour s’assurer que l’eau arrive là où elle doit sans fuite, l’économiste plombier ajuste les détails des politiques pour s’assurer qu’elles atteignent réellement leurs objectifs. » E. Duflo

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Aurele Tranchant