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Philosophie : sommes-nous déterminés ?

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Les souverains thébains, Laïos et Jocaste, apprennent un jour d’un oracle que leur enfant, Œdipe, assassinera son père et épousera sa mère. Pour tenter de contrer la prophétie, ils abandonnent le nourrisson et Œdipe est adopté par le roi de Corinthe. Devenu adulte, Œdipe assassine un homme à la suite d’une querelle, puis épouse la veuve de celui-ci. Il découvre horrifié que la prophétie s’est réalisée. 

Dès l’Antiquité, l’idée de destin obsède les auteurs de tragédie. Eschyle (L’Orestie), Sophocle (Œdipe roi) ou encore Euripide (Médée) tracent la destinée de personnages à la chute inéluctable, généralement orchestrée par les dieux.

Nous allons étudier l’idée de déterminisme dans la philosophie et son évolution au fil des siècles.

 

Le destin sous l’Antiquité : stoïcisme et pensée cicéronienne

 

Les stoïciens, (Sénèque, Epictète, Marc Aurèle…), Ive av JC

Dans la pensée stoïcienne, l’univers est régi par le Logos, à l’origine de l’enchainement naturel des causes et donc de la destinée des hommes. Considérant qu’ils ne peuvent maitriser ce qui leur arrive, les stoïciens promeuvent la maitrise de soi et l’acceptation résignée du destin, pour tâcher d’atteindre une forme de bonheur et de paix intérieure.

 

Cicéron, Du Destin, Ier av JC

Si Cicéron admet dans Du Destin qu’il existe un principe de causalité qui agit sur la vie de l’homme, il introduit une forme de nuance en distinguant les causes extérieures et antécédentes (évènements incontrôlables et extérieurs) et les causes efficientes internes (exercice de sa propre volonté). Le principe de causalité est ainsi contrebalancé par les choix humains, et l’inéluctabilité du destin est questionnée.

 

Le principe métaphysique de causalité : Descartes et Spinoza

 

Descartes, Les Méditations métaphysiques, 1641

Le principe de causalité est un élément essentiel de la philosophie de Descartes. Elle lui permet d’expliquer l’origine des phénomènes naturels.

Plus encore, la causalité est la condition d’existence de toute idée claire et distincte, c’est-à-dire que toute idée doit avoir une cause réelle qui doit contenir autant de réalité que son effet. Par exemple, l’idée d’un arbre se fonde sur les perceptions sensorielles et l’expérience directe de la réalité. C’est une idée adventice. A l’inverse, si vous rêvez d’un dragon, il n’y a aucune cause valable de cette idée en ce qu’aucune expérience réelle et cohérente ne permet d’y parvenir, c’est une idée factice, fabriquée par l’imagination.

C’est à ce titre qu’il parvient à prouver l’existence de Dieu : il est une substance infinie et parfaite. Ce n’est ni une idée adventice (pas d’expériences sensorielles de Dieu), ni factice car l’homme, un être fini, ne peut être à l’origine de l’idée d’infini et de perfection. L’existence d’un dieu comme origine de cette idée est à ce titre nécessaire. 

L’importance accordée au principe de causalité dans la philosophie de Descartes montre bien que le monde est déterminé pour celui-ci.

 

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Spinoza, L’Ethique, 1677

Pour Spinoza, Dieu est la substance unique qui constitue la réalité, tout ce qui existe est ainsi une expression de cette substance. Chaque événement découle nécessairement de l’essence de la substance divine. Tout ce qui se produit est le résultat inévitable des lois universelles qui régissent l’univers.

 

Le déterminisme corporel et psychique : Descartes et Freud

 

Descartes, Traité des passions de l’âme, 1649

Descartes explore le déterminisme corporel et psychique à travers sa conception dualiste de l’esprit et du corps. Il postule que l’âme et le corps sont deux substances distinctes, mais qu’elles interagissent par l’intermédiaire de la glande pinéale. Pour Descartes, les passions, bien qu’ancrées dans le corps, sont causées par les perceptions de l’âme. Cependant, il reconnaît également que les mouvements corporels peuvent influencer l’âme.

 

Freud, Essais de psychanalyse, 1917

Pour Freud, les comportements humains sont largement déterminés par des forces inconscientes, principalement les pulsions sexuelles et agressives. Selon lui, les expériences de l’enfance jouent un rôle déterminant dans la construction psychique. Les conflits non résolus se manifestent à travers des symptômes névrotiques. Le déterminisme freudien met l’accent sur les mécanismes inconscients et la dynamique intrapsychique, où les désirs refoulés et les conflits internes déterminent les pensées et les comportements conscients.

 

Le déterminisme économique et social : Bourdieu, Durkheim

 

Bourdieu, La Distinction, 1979

Pour Bourdieu, les conditions sociales et le capital culturel et économique déterminent les pratiques et les goûts des individus. L’habitus, le système des pratiques des individus, soit les manières d’être, l’apparence, la façon de consommer, de s’instruire est déterminé par le milieu d’origine. Ce système contribue à la reproduction des inégalités sociales.

 

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Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, 1895

De même, Durkheim théorise le fait social, soit les manières de penser et d’agir extérieures à l’individu, inconscientes et coercitives. Ces pratiques sont imposées par la société. Ainsi, les phénomènes sociaux, comme les pratiques religieuses par exemple, sont donc déterminés par des structures sociales objectives plutôt que par des actions individuelles. Durkheim insiste sur la nécessité d’étudier ces faits sociaux comme des choses, soit indépendamment des consciences individuelles mais plutôt comme des phénomènes objectifs, en analysant les structures qui les sous-tendent. Le déterminisme durkheimien met en lumière la manière dont les normes, les valeurs et les institutions sociales influencent les comportements individuels.

 

L’idée de détermination constitue un des questionnements clés en philosophie au fil des siècles. Elle est intrinsèquement liée aux interrogations sur la condition humaine, le libre-arbitre, la psyché humaine, le raisonnement métaphysique et la vie en société. Nombreux sont les philosophes qui s’y sont intéressés en explorant ces divers champs. Si nos vies sont effectivement orientées par des mécanismes causals, psychiques, économiques ou sociaux, les choix individuels demeurent aussi importants dans l’orientation de la vie humaine.

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Guillemette Artigouha