La religion est un thème assez obscur en philosophie. Pourtant, le lien entre celle-ci et le thème de l’année (le monde) serait intéressant à approfondir. La religion et notre perception du divin affectent directement notre manière d’être au monde, nos modes de pensée. Au fondement de toute société, il peut être fructueux de se pencher sur le religieux.
MARC-AURÈLE, Pensées : Dieu est en tout
L’empereur romain considère qu’il existe une liaison de toutes les réalités car le monde est Dieu, un tout réticulaire. “Toutes choses sont liées entre elles, et d’un nœud sacré; et il n’y a presque rien qui n’ait des relations.” Dieu englobe la totalité du réel, il se confond avec lui. “Il n’y a qu’un seul monde, qui comprend tout, un seul Dieu, qui est dans tout, une seule matière, une seule loi, une raison commune.” Ainsi, Dieu est en tout et assure l’unité du monde. Cet extrait inaugure la vision de Spinoza sur Dieu et le réel.
ST-THOMAS, Somme contre les Gentils : la contemplation, ultime bonheur
L’ultime bonheur de l’homme ne se trouve pas dans les biens extérieurs. C’est le fait de contempler le vrai qui nous satisfait pleinement. Cette activité nous relie à Dieu: “la contemplation de la vérité est propre à l’homme […] et elle n’est pas subordonnée à une autre fin”. La contemplation est recherchée pour elle-même. Tout ce qui est humain tend à la contemplation : “elle apparaît comme le but de toutes les autres activités humaines.” En effet, elle requiert la santé du corps et présuppose l’apaisement des passions, ainsi que la sécurité extérieure, but de l’activité politique. En résumé, la contemplation du vrai est notre but ultime et nous élève à Dieu.
SPINOZA, Ethique, III : Dieu est l’unique substance en laquelle tout se trouve
“Aucune autre substance que Dieu ne peut être donnée ni conçue.” écrit Spinoza. Dieu est la nature de toutes choses. “Dieu est un être absolument infini, duquel nul attribut expriment l’essence d’une substance ne peut être nié”. “Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu.” Cette doctrine panthéiste a de nombreuses conséquences sur les actions humaines. Pour Spinoza, c’est l’homme qui a créé Dieu à son image et non l’inverse. Faire de Dieu la totalité du réel a des conséquences importantes sur nos a priori moraux, que je vous invité à approfondir.
NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra : souffrance et impuissance ont créé les au-delà
Nietzsche est un éternel critique, à la fois de la religion traditionnelle et de la métaphysique. Il vise à la fois Dieu et ce qui n’est que néant (le nihilisme). D’après Nietzsche, Dieu et l’au-delà sont des projections humaines, fruits de la souffrance, de l’impuissance et de la lassitude: “ce dieu que j’ai créé était faite de main humaine et de folie humaine, comme sont tous les dieux.” Ce sont la souffrance et l’impuissance des humains qui a engendré les arrière-mondes, l’illusion d’un monde après la mort. En réalité, c’est bien la douleur qui a créé le monde suprasensible.
SARTRE, L’existentialisme est un humanisme : “L’homme est condamné à être libre”
Qui ne connaît pas cette fameuse citation ? Celle-ci mérite toutefois d’être approfondi et replacée dans son contexte. Sartre, à ce moment d’écriture, tire des conséquences de l’inexistence de Dieu : “Si Dieu n’existait pas, tout serait permis” (Dostoïevski), “l’homme est délaissé parce qu’il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s’accrocher.” Sartre n’affirme pas la mort de Dieu contrairement à Nietzsche, mais formule plutôt une hypothèse. Si Dieu n’existe pas, la nature humaine non plus.
L’homme n’a plus d’excuses pour ses actions Si Dieu n’existe pas “nous n’avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses.” Il n’y a plus de déterminisme, l’homme est libre. Cette condamnation à la liberté est l’invention de l’homme par l’homme qui découle du fait que “l’existence précède l’essence. L’homme est condamné, “condamné, parce qu’il ne s’est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu’un fois jeté dans le monde il est responsable de tout ce qu’il fait.” Ainsi, “l’homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l’homme.” L’expérience du monde est une expérience de liberté, mais une liberté tragique car non toujours souhaitée mais surtout imposée. La liberté est le lot des hommes, elle exprime la primauté de l’existence sur l’essence.
BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion : la religion statique: réaction défensive contre l’idée de la mort
Bergson voit dans la religion statique un ensemble de pratiques assurant la conservation sociale et garantissant contre l’angoisse de la mort. Parce qu’il est doué de réflexion, l’homme sait qu’il mourra. “Constatant que tout ce qui vit autour de lui finit par mourir, il est convaincu qu’il mourra lui-même.” Mais cette pensée déprimante s’oppose au mouvement de la nature et l’entrave. Ainsi, en présentant l’image de la survie, la religion nous apporte une défense contre l’idée de la mort: “A l’idée que la mort est inévitable, elle oppose l’image d’une continuation de la vie après la mort.” La religion apparaît comme “une réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la mort.”
MARX, Critique du droit politique hégélien : la religion, opium du peuple
La religion, création sociale, est une réalisation de l’homme sur le plan de l’imaginaire: “c’est l’homme qui a fait la religion, ce n’est pas la religion qui a fait l’homme.” La religion est “la théorie générale de ce monde […]. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité.” Expression de la souffrance humaine, la religion est une compensation idéale: “La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur.” C’est ce qui conduit Marx à écrire : “La religion […] est l’opium du peuple.”
Marx critique l’illusion religieuse afin de détruire la situation qui l’engendre de manière à ce que l’homme retrouve, un jour, sa pleine humanité. “La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge réel.” La religion est une réalisation fantastique de l’esprit humain qui transforme sa perception du monde et masque sa réalité.
NIETZSCHE, La Généalogie de la morale : la vérité, d’origine divine ?
Dans les dernières pages de son ouvrage, Nietzsche affirme que notre croyance en la science est métaphysique: la vérité serait divine. “C’est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre croyance en la science.” Cette affirmation découle du fait que la science ne s’oppose pas à l’idéal ascétique mais ne fait que le conforter. Or, si Dieu est mort, la vérité n’est plus divine et a besoin d’une fondation: “La science elle-même a besoin d’une justification.” Ainsi, “dès qu’est niée la croyance dans le Dieu de l’idéal ascétique, se pose un nouveau problème: celui de la valeur de la vérité.” Nietzsche pointe une idée intéressante : l’homme s’est toujours intéressé à la vérité même, sans jamais questionner sa valeur, laquelle était jusqu’à présent religieuse.
NIETZSCHE, L’Antéchrist : la religion, monde imaginaire
Un peu comme Marx, Nietzsche ne voit dans le christianisme qu’une combinaison d’images sans rapport avec la réalité, une construction ne correspondant à rien de réel. Cette religion serait une fuite devant le réel, fuite causée par la souffrance de l’homme, réalité manquée. Le christianisme est une religion privée du poids du réel: “Dans le christianisme, ni la morale, ni la religion ne sont en contact avec la réalité.”, tout est imaginaire. Le monde du christianisme est un “monde de fictions pures”. Cette religion dévalorise le réel, le condamne, le hait. En effet, “tout ce monde de fictions a sa racine dans la haine contre le naturel – la réalité ! – elle est l’expression du profond déplaisir que cause la réalité.” Le monde de la religion représente aux yeux du philosophe allemand un univers de pure fiction.